Le coucher est une phase délicate de la vie quotidienne. De l’activité, on avance vers le repos complet, jusqu’à l’endormissement. Bien qu'il soit déjà difficile de saisir les besoins d'une seule personne, ce changement d’état se réfléchit et s’accompagne d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un groupe d’enfants.
Comment s’organiser collectivement ? À quoi penser ? Que mettre en place ? Par une série de réponses à ces questions, ce livret pratique tente d'exposer des moyens permettant à chacun·e de composer un fonctionnement de coucher en adéquation avec les besoins repérés.

Dans cet article

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S'ils bâillent à grande bouche en t'écoutant raconter une histoire, prends ça, si tu le peux, comme une marque de confiance.

Fernand Deligny

Pourquoi ce livret ?

Pour bien des équipes pédagogiques, le coucher représente un espace-temps délicat à gérer, et où les objectifs pédagogiques sont tantôt très clairs pour certain·es, tantôt confus pour d’autres. À travers l’exploration de trois types de couchers, l’objectif de ce livret est de vous proposer une réflexion et des outils autour de ce moment, afin que vous puissiez nourrir les démarches que vous mettez en place lors de vos accueils collectifs de mineur·es.

Pour élargir les possibilités d’usage de ce livret, nous avons essayé de ne pas moraliser les pratiques. Le coucher imposé, le coucher individualisé et le coucher par chambre possèdent chacun leurs qualités et leurs limites, et les analyses de ce livret sont le fruit de nos explorations dans chacune de ces pratiques.

Le coucher imposé

Il est le coucher le plus communément rencontré : il fixe un horaire limite où tout le monde doit être couché. Parfois, une heure différente est fixée selon les tranches d’âges. Du point de vue des équipes encadrantes, ce fonctionnement paraît souvent logique pour que les enfants puissent dormir suffisamment lorsqu’ils·elles doivent être réveillé·es pour le petit déjeuner ou une activité de prestation. Ce type de coucher peut être choisi pour la sécurité, la simplicité, les contraintes structurelles, ou parfois parce que l’équipe a peur ou ne connaît pas d’autres types de couchers. Son défaut majeur est qu’il met de côté la dimension individuelle : par exemple, un·e enfant habitué·e a dormir à minuit aura bien du mal à dormir à 21 h 30. Il·Elle pourrait également engendrer une surexcitation ou des tests de cadre, notamment à cause de la dimension individuelle négligée, ou de sa maigre prise en compte des dynamiques de groupe.

Le coucher individualisé

Contrairement au premier type de coucher, celui-ci permet de considérer les besoins de chacun·e à travers l’horaire libre. Le but est d’amener les enfants à être autonomes vis-à-vis de leur sommeil, tout en étant à l’écoute de leurs corps.
Il crée cependant des logiques de conduites à risques, car les enfants n’ont que rarement vécu ce type de coucher pour la plupart. Ainsi, ils·elles peuvent être amené·es à lutter contre le sommeil pour se coucher le plus tard possible, et ne pas être à l’écoute de leur fatigue. Aussi, le coucher individualisé rend plus complexe la ritualisation des couchers (nous reviendrons sur les rituels plus tard), car ces derniers s’étalent davantage sur le temps, et nécessitent ainsi une organisation adulte aboutie.

Le coucher par chambre

C’est en quelque sorte un intermédiaire entre les deux premiers types de couchers évoqués. Il permet des ritualisations de qualité tout en conservant une bonne capacité individualisante. Il permet également de développer plus d’empathie entre les différentes personnes composant la chambre, et favorise l’expression des limites de chacun et chacune. Sa mise en place nécessite toutefois plus de compétences de la part des équipes pédagogiques que pour le coucher imposé, car un solide suivi des chambres est nécessaire, et il génère potentiellement des conflits interindividuels en cas d’accompagnement insuffisant — encore plus avec des publics habitués aux rapports de force ou aux logiques de domination pour s’imposer.

Quel que soit le fonctionnement choisi, le coucher ne doit surtout pas être une étape de la vie quotidienne sous-estimée ou bâclée. En effet, il est fréquent de voir des animateur·rices et des directeur·rices monter en tension, car il est tard et que les enfants devraient déjà dormir — ou au mois être au lit ! C’est dans ce genre de moments que le risque de supprimer des étapes importantes dans l’accompagnement au coucher apparaît le plus — par exemple, en raccourcissant ou en retirant des rituels déjà installés. Ces ruptures des habitudes installées peuvent produire des incompréhensions, des frustrations, de l’insécurité ou du stress… bref, des sentiments néfastes qui peuvent amener les enfants à passer une mauvaise nuit.

Notions pratiques et théoriques

Le cadre et la posture générale

Pour rappel, le cadre d’un séjour est l’ensemble des règles qui régissent le collectif. C’est donc toutes les consignes et règles mises en places pour assurer son fonctionnement. Le cadre doit ainsi être explicité pour que chaque personne composant le collectif puisse agir en fonction de ce dernier.

Bien sûr, les cadres changent en fonction des objectifs pédagogiques choisis, mais d’autres points sont à considérer avant d’opter pour tel ou tel type de cadres, comme :

Le nombre d’encadrant·es : On accompagne évidemment mieux les couchers s’il y a un·e adulte pour 6 enfants plutôt qu’un·e pour 12 enfants.

Les contraintes structurelles : Des contrats par chambre ou par tente sont plus faciles à mettre en place si les espaces ont de bonnes isolations phoniques, et si la structure est munie de plusieurs espaces d’activités/socialisation disposés loin des chambres/tentes.

La capacité à adapter le cadre et à sanctionner : C’est liée à la contrainte structurelle, mais admettons qu’un groupe dans une chambre soit toujours problématique dans le sens où il réveille les autres tous les soirs, vous réagirez différemment s’il est possible d’isoler cette chambre qui ne sait pas considérer suffisamment la vie collective. Par exemple, si une chambre d’enfants de 14-15 ans pose problème, car ils·elles veulent se coucher plus tard que les autres qui ont 11-13 ans — mais que les espaces intérieurs sont peu isolés phoniquement —, alors l’issue sera différente si vous êtes en capacité de leur proposer de dormir sous tente pour qu’ils·elles puissent s’autonomiser sur la gestion de leur sommeil, ou s’ils·elles sont obligé·es de rester en intérieur.

Le public : Le coucher individualisé sera très difficilement profitable sur un séjour court avec des enfants habitué·es à des logiques de justice égalitariste, ou en besoin de se confronter au monde adulte pour tester leur limite ou pour prouver qu’ils·elles « ne sont plus des enfants ».

Le matériel disponible : Si la grande majorité des enfants du séjour souhaitent un coucher musical avec de la relaxation, mais que vous n’avez qu’une enceinte de disponible, une logique de coucher collectif avec un petit temps transitif dans les chambres sera peut être plus pertinent qu’un coucher individualisé ou par chambre.

Le rythme imposé par les activités du séjour : Si vous êtes en séjour ski, et que tout le monde se lève à 7 h pour prendre le bus qui emmène le groupe en station, on peut supposer qu’un coucher individualisé sera trop risqué en matière de prises de risques liées à la gestion de la fatigue. Ainsi, il serait possiblement plus judicieux d’imposer une heure limite de coucher, et d’ouvrir la négociation sur le mode de coucher avant cet horaire limite. Veillée en grand groupe ou en petit groupe ? Imposée ou proposée ? Couchers individualisés jusqu’à l’heure limite où toutes les dernières debout iront au lit de toute façon ? Couchers par chambres ? Etc.

Cette liste n’est pas exhaustive, de nombreux facteurs rentrent en compte en fonction des données du séjour. Dans tous les cas, il vous faudra avoir une attention aux moyens que vous mettrez en place afin d’atteindre vos objectifs pédagogiques. L’idée est qu’ils tendent tous vers ces derniers, et qu’une cohérence pédagogique domine.
Toutefois, il arrive que des incohérences soient presque impossibles à éviter. Par exemple, si vous fonctionnez avec un cadre général défendant les libertés individuelles (tant qu’elles respectent les limites défensivesVoir à ce propos La posture éducative de Second souffle, ainsi que la réédition d’Éduquer est ignoble du collectif de mineur·es K.R.Ä.T.Z.Ä. des autres), mais que le public accueilli n’est pas encore prêt à faire suffisamment attention aux autres, alors il vous sera peut-être nécessaire de faire des couchers collectifs. Autre exemple inverse, si vous vous apercevez que le coucher imposé ne fonctionne pas alors que vous défendez une logique de vivre-ensemble dans lequel il vous semble profitable que chacun·e apprenne à vivre avec les mêmes règles que les autres, alors vous mettrez peut-être en place un coucher par chambre pour éviter de reproduire des situations difficiles.

À savoir, plus un cadre correspondant aux besoins du public et prennant en compte les possibles du séjour sera posé tôt, plus il sera légitimé et moins vous aurez à lutter pour le défendre. Dès le premier jour, soyez donc explicites et n’hésitez pas à parler des enjeux liés au cadre proposé.
Pour favoriser la discussion, la compréhension et la cohérence générale :
Évitez les explications en grands groupes, et préférez les petits groupes.
Assurez vous que tou·tes les membres de l’équipe pédagogique aient bien compris les enjeux du cadre et ses subtilités afin que le cadre soit donné de manière similaire à tous les groupes. Si des adultes ne se sentent pas de l’expliquer, évitez la mise en échec, et si possible, faites des binômes en proposant à la personne moins en confiance de se positionner en soutien plutôt qu’en meneur·euse. Si vous n’êtes pas assez nombreux·euses pour cela, alors revenez à des groupes un peu plus grands, en demandant aux personnes non meneuses de vous aider à conserver une ambiance de discussion lors de l’explication.

Les consignes et les informations du premier soir dans un nouveau lieu

Comme abordé juste avant, le premier soir est déterminant pour la suite du séjour, et la création de repères pour les enfants est primordial. Voici une liste non exhaustive de questions importantes que l’on peut pointer :

Où dort la personne que tu peux prévenir en cas de problèmes nocturnes ?
Pour cela, une simple description est souvent insuffisante, et il est préférable de montrer directement le lieu concerné. Par exemple, en visitant les lieux avec les enfants, et en précisant dans quelle chambre (voire dans quel lit) dort la personne à réveiller. Un repère visuel sur la porte (à hauteur d’enfant, et luminescent idéalement) peut être très aidant pendant la nuit. Cela peut être le prénom de l’animateur·rice, ou bien un signe évocateur tel qu’un logo Batman ou un plan de chambre avec le dessin des têtes des animateur·rices). Dans le cas d’une chambre de garde où l’animateur·rice qui y dort est différent chaque nuit, une simple affiche de planning des gardes permettra d’informer les enfants sur la personne qu’ils·elles devront réveiller (c’est rassurant et ça augmente encore les repères). Enfin, leur rappeler qui sera de garde le soir lorsque la personne ou le lieu change est également nécessaire, et des outils peuvent être imaginés pour fluidifier la transmission de cette information.

Où sont les toilettes les plus proches ?
Cela peut paraître évident, mais il est essentiel que les enfants sachent où se situent les toilettes les plus proches. La nuit, la fatigue et l’obscurité peuvent déboussoler l’enfant. Comme pour les gardes, lorsque les couloirs sont sombres, des repères luminescents peuvent se révéler très utiles.

Que peux-tu faire si tu te réveilles ? Comment sais-tu s’il est l’heure de se lever ou pas ? Comment se passeront les temps du matin jusqu’au petit déjeuner ?
Quelle que soit l’organisation mise en place pour le lever, il est indispensable d’être clair·e et facilitant·e lors de l’explication et de la transmission des consignes. Si des enfants réveillé·es (et qui ne sont plus fatigué·es) sont laissé·es dans leur chambre, il est très probable qu’ils·elles s’ennuient et qu’ils·elles réveillent de manière intentionnelle ou non leurs camarades de chambre. À nouveau, de bons repères permettront une meilleure sécurité affective des enfants : pour eux ou elles, savoir comment se passera le réveil favorisera l’endormissement et diminuera les chances que des enfants se réveillent mutuellement le matin par peur ou par sentiment de solitude. Voici quelques questions auxquelles il est nécessaire de donner des repères :
— À quelle heure est le petit déjeuner ?
— Où seront les animateur·rices le matin ?
— Y a-t-il une heure minimum ou maximum pour se lever ? Si oui, lesquelles ?
— Quelles activités peut-on faire au réveil ? Et où aller pour cela ? Y a-t-il une salle de lecture, une salle d’éveil, etc. ?
— Qu’est-ce qui se passe si je me réveille tard, que je suis le·la dernier·ière ? (Cette angoisse est assez fréquente).

Même s’il arrive que les enfants posent ces questions, il est glissant de ne compter que sur cela. Et parfois, des enfants apparemment désintéressé·es de ces questions peuvent poser problème s’ils·elles ne connaissent pas le cadre posé. Selon les espaces, ce cadre peut tout autant être (co)décidé avec les enfants, qu’imposé par la structure ou l’équipe de direction. Dans ce cas, il faut être clair sur le fonctionnement avant le premier coucher.

Quel est le cadre permettant de préserver le sommeil des un·es et des autres ?
Si les attentions comme celle d’être silencieux·ieuse ou bien celle de ne pas réveiller les copain·ines semblent évidentes, il est tout à fait compréhensible que des personnes peu habituées à la vie en collectivité ne fassent pas suffisamment attention, et réveillent leurs ami·es par inadvertance (1er cas). Toutefois, il arrive qu’ils·elles le fassent exprès, car il n’est pas toujours rassurant d’être le·la première levé·e (2e cas), ou bien parce qu’une logique d’équipe (on fait tout ensemble, on mange ensemble, on joue ensemble…) s’est installée (3e cas). Ce n’est pas problématique si le réveil entre enfants a été discuté et consenti (sans pression des un·es sur les autres), tant qu’ils·elles sont d’accord sur le fonctionnement la veille pour le lendemain. Mais il faut agir lorsque certain·es réveillent leurs ami·es sans aucune forme d’accord mutuel. Ainsi, des consignes et des règles doivent être mises en place afin de défendre les besoins individuels.

  1er cas (réveil par inadvertance)
Si vous vous rendez compte que vos consignes ne sont pas respectées, une attention doit être portée par l’animateur·rice de couloir pour éviter des réveils intempestifs et faciliter le levé des enfants. Aussi, avez-vous pensé à l’efficacité de votre fonctionnement ? Les enfants ont-ils·elles leurs habits préparés pour le matin ? Où sont-ils situés ? Ont-ils·elles de quoi voir suffisamment sans avoir besoin d’ouvrir les volets ou d’allumer ? Etc.

  2e et 3e cas (si consentement des enfants)
Assurez-vous que les décisions entre enfants se déroulent sans logique d’oppression de certain·es enfants sur d’autres, de harcèlement, etc. Dialoguez avec eux·elles pour connaître les détails de leurs choix, assurez-vous qu’ils·elles connaissent ce que cela implique (fatigue potentielle, etc.).

  2e et 3e cas (sans consentement)
Dans ce cas, essayez d’identifier la source du problème. L’enfant qui réveille les autres a-t-il·elle peur de se lever seul·e ? Est-ce qu’il·elle se fout simplement du sommeil des autres et qu’il faut engager une démarche de sanction avec lui·elle ? Dans tous les cas, optez pour des discussions au travers desquelles vous pourrez vérifier la justesse de votre cadre en fonction des besoins des enfants (aménagement de la chambre, etc.). Il faudra également vous assurer de la clarté du cadre proposé aux yeux des enfants, mettre en place des logiques de contrats si nécessaire (réveil par binôme, l’avant dernier·ière réveille le dernier…), etc.

Comme nous l’avons vu précédemment, attention à ne pas perdre de vue vos objectifs lors de la construction de vos consignes — quelle que soit la méthode employée pour les construire. De nombreuses consignes sont données par habitude, mais des cas inhabituels peuvent vous pousser à réenvisager la pertinence de votre cadre. Par exemple, si un frère et une sœur ont toujours l’habitude de se réveiller mutuellement le matin, leur demander de ne pas se réveiller ira à l’encontre d’une habitude fortement ancrée, et risque de constituer une consigne problématique.
Malgré des cas particuliers à prendre en compte, de manière générale, le sentiment de sécurité des enfants sera grand si vous êtes précis·e sur votre fonctionnement, et si votre fonctionnement correspond aux besoins des enfants.

Enfin, pensez aussi que le réveil des adultes pendant la nuit n’est pas toujours nécessaire, et sachez être clair·e quant à vos consignes concernant ce point. Elles doivent aider les enfants à distinguer ce qui est un problème réel et urgent de ce qui peut attendre le matin. Ainsi, la personne de garde évitera quelques réveils superflus.

Les rituels du soir et le « Bonne nuit »

Beaucoup d’enfants apprécient les rituels avant de dormir. Pour faciliter leur sommeil et diminuer les difficultés de séparation avec le foyer, essayez de recueillir leurs ressentis, et demandez-leur de verbaliser leurs besoins.
La plupart du temps, ces rituels peuvent être compliqués à mettre en place en journée lorsque tout le monde est un peu éparpillé dans le centre et qu’il n’y a pas ou peu de suivi individuel ou par chambre.

Pour parer à cela, vous pouvez par exemple :
mettre en place des temps de référence (chaque animateur·rice se retrouve avec un petit groupe d’enfants chaque jour à la même heure) ;
avoir un temps de douche suffisamment long et avoir un taux d’encadrement suffisamment confortable pour pouvoir en discuter dans chacune des chambres ;
utiliser des temps calmes suffisamment longs pour aborder le sujet.
Il est assez fréquent que les envies de rituels ne soient pas formulées très précisément, mais cela ne signifie pas que le besoin n’existe pas. Parfois, c’est tout simplement la honte de dire qu’on voudrait un câlin ou un bisou avant de dormir devant les camarades qui partagent la même chambre, et il faut pourtant permettre à cette enfant d’exprimer ce besoin.
  Exemples de rituels de coucher communs :
Mélodies à la guitare ; chansons calmes ; lectures de contes ; activités de relaxation ; lectures individuelles ; petits massages ; petites discussions de chambrée ; lectures ou inventions d’histoires d’horreur (Hé oui ! Selon les besoins et capacités des enfants, cela peut s’avérer pertinent) ; anecdotes ; blagues ; musiques relaxantes ; etc.

  Paramètres à prendre en compte pour choisir vos rituels :
Besoins du public ; nombre d’animateur·rices disponibles ; disposition des couloirs ; possibilités d’isolement des chambres ; habillement des enfants avant le coucher ; moment prévu pour le brossage de dents ; etc.
Accompagner tous les rituels n’est parfois pas possible, mais vous pouvez parer à cela en cherchant une indépendance progressive (les enfants deviennent autonomes dans leurs lectures du soir, dans la mise en place de leur musique relaxante, etc.). Attention toutefois à ne pas mettre en échec les enfants, ou à ne pas vous mettre en échec vous-même.
Aussi, la manière dont on dit bonne nuit peut avoir une importance insoupçonnée. C’est une attention importante pour une personne, qu’elle ait l’habitude qu’un·e adulte lui dise bonne nuit ou non. En effet, accorder cette attention individuelle à une personne pour qu’elle ait le sentiment d’être considérée est une manière de la reconnaître comme individu·e. Si elle a l’habitude qu’un·e adulte lui dise bonne nuit, alors c’est un repère qu’on doit prendre en compte : veut-il·elle le même bonne nuit qu’à la maison ? Ou un autre parce que le check inventé avec l’animateur·rice est apprécié ? On peut proposer différents rituels : bisou, check, câlin, coucou… Le fait de proposer différentes manières de dire bonne nuit permet de répondre un maximum aux besoins et envies des enfants sans prendre le risque d’atteindre leurs limites, car tout le monde n’apprécie pas un bisou ou un câlin. Ceci est également valable pour vous : n’hésitez pas à également exprimer vos limites (si vous n’êtes pas du tout à l’aise à faire des câlins, ça vaut le coup de le préciser dès le début).

Ce rituel a également lieu entre enfants. On peut leur proposer de se créer un rituel, une manière de se dire bonne nuit entre elles et eux, etc. Attention toutefois à ce que ça ne réinstalle pas une excitation, ou bien que cela ne vous mette pas en difficulté. Un·e enfant pourrait décider de dire bonne nuit à d’autres dans d’autres chambres, ce qui peut casser une dynamique de petits groupes par exemple. Il est important d’être ferme sur ce point, et de préférer ouvrir des négociations de rituels interchambres (plus tôt dans la soirée par exemple) plus tard dans le séjour, une fois que le fonctionnement par chambre est déjà bien acquis et fluide.

Astuces pour l’aménagement et l’ambiance des chambres et des couloirs

Avant le séjour, on peut lubrifier les gonds des portes, mettre des amortisseurs en mousse, en carton ou une serviette pour celles qui ont tendance à claquer. On peut aussi installer un espace ou mettre les affaires pour le lendemain (ce qui évite de les chercher dans sa chambre dans le noir ou de devoir allumer). On évite ainsi les bruits parasites qui réveillent celles et ceux qui dorment encore le matin, ou celles et ceux qui sont sensibles au bruit le soir. On peut mettre à disposition des veilleuses dans les chambres pour éviter des situations de noir total pendant la nuit, et avoir un stock de doudous à proximité des chambres.
Lors de l’installation, des décisions peuvent être prises en fonction des besoins personnels des personnes. En effet, choisir un lit devant la porte pour un·e enfant qui ne supporte pas la lumière n’est pas très pertinent, tout comme être dans un lit en hauteur pour un·e enfant qui irait souvent aux toilettes. Les éléments comme les veilleuses ou les doudous peuvent être proposés, et on peut conseiller aux enfants de disposer leur gourde d’eau sur la table de chevet afin d’éviter quelques allers-retours aux toilettes lorsqu’ils·elles ont soif.

En journée, au début ou pendant le séjour, il est utile de proposer aux enfants de s’approprier leur espace de chambre. Ainsi, proposer des activités (individuelles ou collectives) de décoration de chambre leur permettront de mieux se saisir de leur chambre, de s’y sentir un peu mieux, d’afficher des choses qu’ils·elles veulent garder près de leurs lits comme une photo de famille, etc. Pouvoir également accrocher le dessin fait l’après-midi durant une activité peut aussi être une vraie plus-value pour la vie quotidienne de l’enfant. Ces décorations ne sont pas superflues : elles permettent la mise en place de leurs propres repères (qui dort où, quel espace de rangement correspond à quelle personne, etc.).

Pour faciliter la démarche en cas de manque d’inspiration :
présentez du matériel (papier de couleur, peinture fluorescente, tissu, etc.) ;
discutez des besoins (« Comment on sait le nombre de dodos restants ? » ; « Comment on sait où tu ranges tes habits ? » ; « Où souhaiterais-tu accrocher tes cartes postales ? » ; etc.) ;
abordez des idées et des sujets de dessins possibles (personnes qu’ils·elles aiment, animaux fétiches, motifs faciles à faire, etc.).
Cela aidera à trouver ce qui correspond à chacun·e. Votre rôle de facilitation ne doit pas être négligé, et peut passer par exemple par l’installation des tissus, l’aide à la création des cabanes (tâche simple avec les lits superposés), la mise en place d’étoiles avec de la peinture phosphorescente, l’apport de lampes de projection pour jouer avec la lumière sur les murs, etc.
Ces astuces ne sont pas secondaires : elles sont déterminantes pour faciliter la gestion de la vie quotidienne. Si vos portes trop lourdes claquent lorsqu’une enfant va se coucher, c’est certain que vous allez passer beaucoup d’énergie à endormir les enfants. Si vous n’avez aucune veilleuse et que des enfants ont peur du noir, c’est probable que des conflits liés à l’allumage des lampes ou à l’ouverture des volets surviennent. Ainsi, par l’aménagement à différentes échelles et à différents moments, vous évitez ou réduisez des problématiques conflictuelles fréquentes et les potentielles insécurités affectives. L’aménagement et ces astuces pallient aux besoins différents des personnes en matière de luminosité, temps de sommeil, gestion des vêtements, besoin d’oreillers, etc. Lorsqu’il est pensé en fonction des besoins rencontrés, l’aménagement représente un formidable outil pour permettre des nuits paisibles.

L’aménagement avant le coucher est important également. Chaque soir, des petites astuces permettent d’accueillir les enfants dans le couloir et les chambres dans une ambiance propice au calme. On peut noter l’extinction de la lumière du couloir (avec, par exemple, un cache interrupteur posé pour éviter que les lumières se rallument à chaque passage d’enfant), l’allumage des lampes de chevet ou encore la fermeture des volets anticipée pour une lumière tamisée.
Ces petits aménagements du soir amènent une ambiance différente de celle de la journée. Cela permet une atmosphère plus posée, et marque le changement de rythme — ce qui peut aider certain·es enfants à s’intéresser ou s’impliquer dans les activités calmes.

Décroître l’intensité de l’activité (fin de veillée et activités calmes)

Plusieurs principes pour faire décroître l’agitation peuvent être observés et recherchés pour amener progressivement le calme.

Diminution des tailles de groupe :
Grand groupe → petit groupe → chambrée → individuel.
Diminution du bruit et du volume des voix :
Cris et éclats de voix (veillée) → volume ordinaire → voix posée → chuchotement.
Diminution de l’intensité de l’activité.
Selon ces principes, construire sa veillée avec une logique d’intensité décroissante permettra de faciliter une arrivée calme dans les chambres et facilitera le coucher.
1.   [Volume sonore] Tout en vous appuyant sur le jeu auquel vous êtes en train de jouer, vous pouvez rajouter une consigne de volume sonore à adapter. Ce genre d’adaptation n’est possible qu’avec certains jeux : n’en faites pas au prix de casser la dynamique ou le principe d’un jeu.
2.   [Retour au calme] À cela, vous pouvez rajouter une activité de retour au calme (un temps de discussions, un mini jeu…). Ainsi, l’excitation et l’énervement laisseront la place au calme et à l’apaisement. Il vous sera bien plus simple d’accompagner les enfants jusqu’à leur lit, que ce soit dans une logique de coucher commun, par chambre, ou individualisé.
Il y a des cas où un retour au calme est inutile, car l’activité principale de veillée est elle même peu intense, telle qu’une ballade contée, une soirée d’observation astronomique, etc.
Par contre, si l’activité est trop intense et ne permet pas de réduire l’intensité (implication physique ou émotionnelle importante par exemple), alors envisager un long retour au calme peut être nécessaire. N’ayez pas peur des retours au calme qui durent : mieux vaut tarder un peu à cette étape pour obtenir un coucher facilité qu’aller trop rapidement au coucher et se retrouver en difficulté à cause d’une ambiance peu propice au sommeil.
3.   [Clarté du cadre] Quelle que soit la situation, prenez le temps de poser le cadre en rappelant — si nécessaire — les règles et consignes liées au coucher en fin de veillée. Si des espaces ont des fonctionnements différents (par exemple, bruit possible dans la salle de jeux, chuchotements dans le couloir, chuchotements dans la salle calme, etc.), distinguez-les nettement, notamment via l’aménagement (comme avec des codes couleur selon le niveau de bruit possible dans les espaces). Assurez-vous également que les différences liées à vos temps (veillée, retour au calme, préparation personnelle au coucher) soient claires. Si des consignes sont à donner ou réexpliquer, optez pour des retours au calme afin d’avoir plus facilement l’attention du groupe. Par exemple, des enfants qui seraient allongé·es pour écouter de la musique relaxante pourront se concentrer sur les consignes de l’animateur·rice.
On peut par exemple rappeler :
d’être vigilant·e face au bruit (en chuchotant, en évitant de claquer les portes ou de marcher à pas lourds), surtout avec des couchers par chambre ou des couchers individualisés afin que personne ne soit dérangé·e dans son sommeil ;
de se brosser les dents si ce n’est pas encore fait, de passer aux toilettes, de remplir la gourde ;
les possibles pour les enfants une fois qu’ils·elles sont dans leurs chambres (discuter, lire, aller dans les autres chambres, jouer, etc. ?). Souvent, les enfants apprécient ce moment pour lire, regarder les lettres ou cartes postales reçues, écrire du courrier, etc.
Lors de l’aménagement en amont du séjour, ou pendant le séjour, il est utile de penser à des affiches qui pourront aider à clarifier le cadre du coucher : cela peut éviter des répétitions orales.
1.   Une fois dans les chambres, restez vigilant·e sur le chuchotement, et permettez uniquement les activités calmes avant de dormir. Proposez des activités permettant à chacun·e d’être à l’écoute de son corps, préférez des activités individuelles (ou bien à deux, trois ou quatre, mais à condition qu’elles soient calmes), lancez des petites discussions, des bilans de la journée, etc. Cette organisation peut paraître directive et trop peu participative, mais c’est en réalité un moyen de protéger le calme et le sommeil de ceux·celles qui en auraient besoin. Par ailleurs, on oublie parfois d’appliquer soi-même une consigne donnée, comme avec le chuchotement. En tant qu’animateur·rice, si vous parlez à voix haute par inadvertance alors que le chuchotement est demandé aux enfants, il est probable que vous n’arriviez pas à vos fins sans devoir vous énerver. C’est aussi logique que de demander le silence dans un réfectoire en criant : si on y arrive, c’est parce qu’on surprend ou que l’on fait peur, et non pas parce qu’une ambiance de calme s’est installée progressivement ou par habitude d’un certain cadre. Ainsi, avoir cette attention autour du chuchotement incite indirectement les enfants à faire de même. En l’encourageant ainsi, chuchoter deviendra chaque soir un peu plus une habitude, et vous aurez de moins en moins besoin de rappeler cette consigne.
2.   Dans le cas d’un coucher qui n’est pas généralisé, proposez à ceux·celles qui se souhaitent pas dormir l’accès à des espaces dans lesquels ils·elles peuvent jouer, discuter, etc., sans que cela nuise au sommeil des personnes dans les chambres. Choisissez donc des espaces éloignés des lieux de repos. Si cela n’est pas possible structurellement, mieux vaut alors ne pas permettre d’activités bruyantes aux personnes ne dormant pas. Ils·elles peuvent toujours lire, écrire, dessiner, faire de l’activité manuelle calme, discuter, etc. Par ailleurs, même si des espaces éloignés permettent de jouer bruyamment sans déranger les dormeur·euses, réfléchissez à ce que vous permettez ou non. Il est probable qu’une activité babyfoot ne permette pas d’apprendre à écouter son corps, et augmente l’envie de veiller pour rester avec les copains et copines.
Pour résumer, le rythme donné à la soirée mérite clairement une démarche spécifique pensée et ajustée au fur et à mesure du séjour selon les besoins de chacun·e.
Pensez à avoir des garant·es du fonctionnement afin de ne pas glisser vers une tyrannie d’absence de structureSur les différents systèmes d’obéissance, voir La posture éducative de Second Souffle., c’est-à-dire vers des fonctionnements où chacun·e ferait un peu de qu’il lui plaît, même si cela empiéterait sur les limites défensives d’autrui.
Petite attention à avoir enfin — surtout pour les fonctionnements individualisés ou par chambre — : la grande majorité des enfants n’ont jamais décidé de l’heure à laquelle ils·elles se couchent, et laisser une pleine autonomie aux enfants lors de leur coucher peut les pousser à avoir des comportements à risques élevés. Ainsi, cela peut mettre en échec celui·celle qui essaierait de repousser ses limites avec pour seul repère sa sensation de fatigue qu’il·elle n’aurait peut-être jamais appris à détecter ou à écouter.

Négocier un accord par chambre ou individuel : les deals de coucher

On parle de deal pour désigner un accord ou un contrat, issu d’une discussion dans laquelle :
l’animateur·rice donne les contraintes structurelles et les attentions à avoir sur le sommeil ;
les enfants ont pu négocier de leur côté ce qu’ils·elles désiraient.
Les intérêts de proposer une négociation par chambre ou individuel sont nombreux :
l’enfant apprend à prendre une décision en considérant les contraintes expliquées par l’adulte ;
les apprentissages sont étendus : écoute de ses besoins de sommeil, réflexions sur les rituels désirés, progression vers un état où l’enfant est de plus en plus capable de décider de ce qui lui est bon, apprentissage des négociations et gestion de discussions, recherches de solutions et prises de décisions, etc ;
les besoins sont individualisés ou adaptés à l’échelle de la chambre.
Le deal n’est pas forcément une heure de coucher, c’est avant tout un outil permettant l’ouverture du choix du mode de coucher. Voici deux exemples possibles :

 Le coucher est ritualisé et s’étale dans le temps : Un conte est lu tous les soirs à partir de 22 h lorsque les enfants viennent de se mettre au lit. Ou bien, une playlist de musique relaxante est lancée avec pour seule lumière la veilleuse, pendant que l’animateur·rice masse doucement les enfants. Ici, l’animateur·rice aura convenu avec la chambre de l’heure du rendez-vous pour lancer le rituel. Les enfants peuvent être garant·es de cette heure, ou l’animateur·rice peut déclencher le départ dans la chambre (par exemple, avec un signal particulier que les enfants connaissent).

 Le deal prévoit des variations possibles chaque jour : Un deal permanent peut tout à fait être la rediscussion quotidienne de la manière et de l’heure à laquelle la chambre va se coucher. La ritualisation de cette prise de décision peut, par exemple, prendre la forme du choix de l’activité que la chambre fera avant de se coucher. Si les personnes composant la chambre décident un soir de regarder un court-métrage ensemble pour en discuter un peu avant de se coucher, elles décideront peut-être le lendemain de participer à l’activité musicale de retour au calme collectif proposée par l’équipe pédagogique avant d’aller au lit.

Pour négocier en tant qu’animateur·rice, il est nécessaire d’avoir une vision très claire du cadre et des contraintes, et de les présenter de la manière la plus transparente possible aux enfants. C’est important de bien avoir en tête que l’objectif n’est pas de remporter la négociation à tout prix (ce qui consisterait souvent à les convaincre d’aller se coucher tôt). L’objectif est avant tout de permettre aux enfants de répondre à leurs désirs, sans outrepasser leurs limites individuelles ni celles des autres, et en considérant les contraintes collectives et structurelles. Pour aider les enfants à parvenir à ce stade de conscience, n’hésitez pas à les faire s’exprimer sur leur ressenti des soirées précédentes ainsi que sur leur état de fatigue, et faites évoluer le deal en fonction de ces paramètres. Essayez de pointer les manques que vous discernez aux enfants, car ces dernières ne seront pas toujours capables de tout analyser et verbaliser.
Par exemple, si les enfants se sont couché·es plus tard que convenu et qu’au moins l’un·e d’entre-eux·elles dit « On a pas vu l’heure passer... », la solution ne se trouvera probablement pas vers un avancement de l’heure du coucher en tant que conséquence punitive de cette transgressionPour plus d’éléments sur la sanction et les conséquences d’une transgression, voir La posture éducative de Second souffle.. Mettez plutôt en place une démarche où le groupe pourra s’informer de l’heure tout au long de leur soirée, afin que chacun possède les moyens de se responsabiliser. Cela peut être un·e enfant à qui une montre est donnée, que l’on nommera le·la responsable/garant·e/maître·esse du temps, et qui portera une attention particulière à l’heure limite fixée par le groupe. Ou alors, ça peut être une pendule ajoutée dans la chambre si le groupe décide d’être garant collectivement de l’heure.
Avec les deals de chambre, il arrive qu’apparaisse une impression d’injustice. Ce sentiment peut avoir lieu à la fois chez les animateur·rices que chez les enfants... Certain·es se couchent tard et d’autres tôt. Un tel a le droit a des activités cools, et pas d’autres (parce qu’ils·elles ont pensé à demander une soirée pyjama dans la bibliothèque). On fait alors face à un mythe : celui de l’égalité comme justice. Le besoin de justice pour les enfants peut parfois être très élevé, et il est légitime d’accepter leurs représentations morales afin de faire évoluer progressivement leur compréhension de l’équité tout au long du séjour. En effet, lorsque les besoins et capacités sont différents, c’est incohérent de dire que tout le monde a le droit à la même chose et pas plus ou pas moins. Si vous avez un groupe de 6 à 12 ans, les coucher tou·tes à 22 h ne sera pas adéquat, car il est certain que les enfants possèdent des besoins de sommeil différents. Mais attention aux raccourcis : faire un coucher à 21 h 30 pour les 6 à 8 ans et à 22 h 30 pour les 9 à 12 ans n’est pas beaucoup plus adéquat, car même si les besoins de quantité de sommeil diminuent en moyenne avec l’âge, il n’est pas rare que certain·es jeunes enfants aient des besoins moins élevés que certain·es enfants plus âgé·es qu’eux·elles. De même, il arrive que des adultes aient de plus grands besoins de sommeil que certain·es enfants. Ainsi, se référer à la norme implique donc de pénaliser les enfants avec des besoins particuliers.

Les besoins étant propres à chacun·e, l’outil des deals par chambre ou individualisé nous paraît donc être une solution juste et équitable, à condition qu’il soit amené avec transparence et accompagnement, et qu’il accepte que certaines personnes puissent se révolter s’ils·elles se sentent en situation d’inégalité, donc d’injustice ressentie. Ainsi, il ne sera peut-être pas judicieux de proposer le visionnage d’un dessin animé à succès pour des enfants se couchant plus tard quand un autre groupe se couche plus tôt, si ce sentiment d’injustice est fortement présent.

L’intérêt de penser les rôles pour un coucher suite à une veillée excitante

On l’a suffisamment vu : l’articulation entre la personne et le collectif est à réfléchir en fonction de plusieurs facteurs, et notamment du nombre de personnes composant l’équipe. Voici quelques cas pratiques qui vous permettront peut-être de développer une stratégie de coucher en fonction de votre situation.

Hypothèse n°1 : vous endossez tous les rôles. Vous êtes seul·e à devoir gérer plusieurs chambres encore excitées de la veillée.
On peut déjà noter qu’il y a probablement une mauvaise gestion de la décroissance du rythme de la soirée, mais ce point sera à traiter plus tard, en réunion ou avec les enfants. En attendant, vous allez possiblement être débordé par le nombre, et le temps qui vous sera nécessaire à calmer une chambre permettra à une autre de remonter en excitation. La continuité des rituels mis en places sera donc impossible à tenir.

Dans l’urgence, voici une stratégie limitant les dégâts :
1.   Assurez-vous que les enfants aient fait tout ce qu’ils·elles avaient à faire en matière de toilettes, brossages de dents, préparation des vêtements du lendemain, tenue de pyjama, remplissage de gourdes… Missionnez les enfants si ce n’est pas le cas, ne vous concentrez pas sur une seule personne longtemps, mais brossez le groupe en rappelant ce qui doit être fait. Seul·e, vous serez possiblement contraint·e d’adopter une posture directive.
2.   Essayez de canaliser les enfants et faites en sorte qu’ils·elles gagnent leurs lits afin qu’ils·elles puissent accepter plus facilement la sensation de fatigue. Si vous ne pouvez pas encore être présent·e dans une chambre, vous pouvez laisser les lumières tamisées éclairées, leur proposer de lire ou de parler entre eux·elles en attendant que vous arriviez.
3.   Lancez des activités calmes qui peuvent se faire sans vous dans les chambres. Une fois que les enfants sont dans leurs lits, lancez une musique douce ou un conte audio, prenez le temps de dire bonne nuit, et ne laissez que la veilleuse allumée si vous en avez. Si votre public lit facilement, n’hésitez pas à les laisser lire silencieusement avec leurs lampes de chevet pour pouvoir aller rapidement vous occuper d’autres enfants. Laissez la porte entrouverte pour que vous puissiez mieux identifier des agitations, et passez ensuite à une autre chambre.
4.   Une fois l’ensemble des chambres calmées et au lit, restez actif·ve pour calmer les enfants susceptibles de gêner les autres dans leur endormissement. Vous aurez de moins en moins besoin d’intervenir.
Hypothèse n°2 : il y a une répartition des rôles. Vous êtes deux ou plus pour gérer plusieurs chambres encore excitées de la veillée..
Comme avec le cas d’avant, gérer un coucher avec des enfants excité·es n’est pas idéal, mais la gestion à plusieurs permet déjà plus de choses. Spontanément, il est déjà possible que des rôles apparaissent entre vous Nous vous conseillons de répartir les fonctions de chacun des rôles en fonction de vos compétences propres et de ce que vous préférez faire.
S’il n’y a pas de réflexion autour des rôles, on constate souvent que :
Les animateur·rices moins compétent·es ont, en fonction des situations, tendance à oublier soit la dimension collective, soit la dimension individuelle ; et peuvent avoir du mal à les articuler pertinemment.
Les animateur·rices ayant une meilleure vision globale endossent les rôles qui ne sont pas pris par les autres (souvent les moins agréables ou les plus engageants), ou veulent faire toutes les tâches, car ils·elles veulent qu’elles soient bien réalisées.
Les animatrices, de par leur socialisation féminine, ont tendance à prendre en charge les besoins affectifs, la charge mentale liée aux fontions de soinPour aller plus loin sur les notions de soin (care, soin mutuel, éthique de la sollicitude), retrouvez sur notre site un glossaire et de nombreuses ressources dans le Vendredi en Ligne #14 “Le soin, ou le« care »”, et à s’investir beaucoup à l’échelle individuelle, tandis que les animateurs (aussi de par leur socialisation) ont tendance à prendre en charge le rôle de garant du cadre ainsi que la gestion de l’échelle collective.
Si elles restent invisibles, ces tendances peuvent enfermer les membres de l’équipe pédagogique dans des rôles dont ils et elles ne sont pas conscient·es, voire même dans des rôles qu’ils et elles ne souhaitent pas détenir. Voici certains moyens individuels pour lutter contre cette invisibilisation :
1.   Si vous êtes un·e animateur·rice peu expérimenté·e :
Demandez aux plus expérimenté·es l’ensemble des tâches à accomplir.
Évaluez vous-même les fonctions dans lesquelles (1) vous êtes à l’aise, (2) vous avez besoin d’accompagnement, (3) vous ne vous sentez pas du tout de les gérer.
Avant de mener seul·e, acceptez d’être en soutien sur des rôles que vous ne connaissez pas plutôt que de les improviser, cela évite des mises en échecs ou des pertes de légitimité.
2.   Si vous êtes un·e animateur·rice expérimenté·e :
Proposez aux moins expérimenté·es des clés de lecture des situations de coucher possibles.
Anticipez une liste des tâches qu’il faudra faire, et transmettez-la.
Accompagnez celles et ceux qui en ont besoin sur des principes de fonctionnement tels que des méthodes de discussions ou d’évaluation, etc.
Proposez de former un binôme avec un·e animateur·rice moins expérimenté·e pour qu’il·elle puisse comprendre la manière dont vous menez une activité de retour au calme ou autre, dans le but qu’il·elle puisse ensuite la mener avec votre soutien ou seul·e.
Il existe également des moyens collectifs pour améliorer la répartition des rôles :
Organisez des échanges de pratiques et d’astuces lors de la préparation du séjour ou lors de temps de bilans formels ou informels.
Coévaluez et coorganisez collectivement les tâches avec transparence. En fonction des expériences vécues, c’est évident que certain·es connaissent mieux que d’autres les enjeux d’un coucher. Favorisez le partage des savoirs et des pratiques, et permettez à la partie moins avertie de l’équipe de donner des avis et d’être consultée.
Instituez des rôles visibles si cela est nécessaire, que vous pourrez alors vous répartir en réunion, en anticipation des couchers.
Si les rôles ne sont pas visibles et qu’une personne est souvent indispensable au coucher, alors elle détient sûrement des rôles essentiels. Anticipez alors les moments où elle sera indisponible (maladie, congé, activité ailleurs…) en lui demandant d’expliciter ce qu’elle fait. Cela vous évitera d’éventuelles mises en échec, car vous n’oublierez pas une dimension du coucher qu’elle seule avait l’habitude de prendre en charge.
Ainsi, dans notre hypothèse d’un coucher à gérer à plusieurs, voici quelques rôles possibles que l’équipe pourrait s’être distribués :

Rôle pré-aménageur·euse
En fin de veillée, il·elle se détache pour faire les préparations des chambres et accueillir les enfants qui arrivent en rappelant les consignes utiles avant le coucher (si nécessaire).

Rôle d’apaiseur·euse
Comme son nom l’indique, ce rôle assure la mise en place d’activités de retour au calme pendant que le·la pré-aménageur·euse s’active. De plus, de nombreux jeux de retour au calme peuvent être menés seul·e ou à deux avec un grand groupe, ce qui permet aux autres animateur·rices d’être garant·es ailleurs du bon déroulé du coucher.

Rôle de garant·e du cadre (vision globale)
L’animateur·rice en charge de ce rôle coordonne le coucher, fait appel à d’autres animateur·rices (ou les rerépartie si nécessaire), s’assure de la continuité des rituels si un·e animateur·rice n’est pas là, etc. En cas de grosses difficultés sur le coucher, il·elle sera actif·ve quant à la manière dont l’équipe doit se restructurer pour améliorer la situation. Pour certains groupes agités, ce rôle est primordial et ne peut être abandonné sous peine de laisser glisser le cadre, et ainsi de ne pas parvenir à une ambiance apaisée. En revanche, se cantonner à ce rôle peut vous transformer en flic de couloir : si tout va bien, être garant·e du cadre ne vous empêche en rien de prendre du temps avec certain·es enfants, d’accomplir des rituels qui ne vous prennent pas trop de temps, etc.

Rôle ritualiste
Comme nous l’avons exploré dans le chapitre Les rituels du soir et le bonne nuit, ce rôle consiste à accompagner les enfants dans leur coucher, conserver une continuité dans leurs rituels, discuter, s’assurer que tout va bien, etc.

Tous ces rôles peuvent être plus ou moins utiles en fonction des situations. Par exemple, si vous avez besoin d’un grand nombre de ritualistes et qu’il n’y a pas de problématiques majeures lors des couchers, peut-être qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un·e garant·e du cadre, mais que les fonctions propres à ce rôle peuvent être réparties à tou·tes les ritualistes ou au·à la pré-aménageur·euse. Autre exemple, si votre public teste beaucoup le cadre du coucher, mais est sensible aux musiques dans les chambres pour s’endormir, peut-être qu’avoir plus de garant·es du cadre qui lancent les musiques et moins de ritualistes sera utile.

Les rôles, leur visibilisation, leur rotation et leur répartition sont donc tout à fait dynamiques. Ainsi, évaluez les besoins et situations concrètes, et n’hésitez pas à imaginer des rôles facilitant l’organisation générale !

Ouverture

Comme nous l’avons montré, le coucher est une phase complexe de la vie quotidienne, et il mobilise une charge mentale importante aux éducateur·rices pour que les enfants trouvent le sommeil dans une ambiance appaisée qui garantie la sécurité affective de chacun·e.

Quel que soit le type de coucher que vous mettez en place, n’hésitez donc pas à faire la liste de ce que ce dernier nécessitera comme accompagnement, afin d’agir avec pertinence autant au niveau individuel que collectif. S’il est parfois difficile de se détacher d’une perception d’adulte responsable, qui doit organiser le sommeil des enfants pour leur bien, nous espérons que ce livret offrira aux lecteur·rices assez de clés de compréhension pour prendre du recul et nuancer cette pensée. Ainsi, s’il vous a proposé quelques réponses et ouvert de nouvelles questions, nous vous encourageons vivement à les partager avec les personnes qui travaillent avec vous, pour aller vers des pratiques justes, quitte à sortir des habitudes.