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Vivons nous en démocratie ? Composé de trois parties, c'est à cette question que ce dossier consacré à la démocratie va tenter de répondre. Enrichi par de nombreuses vidéos, il vous invitera à prendre le temps d'interroger vos représentations sur ce qu'est la démocratie.

Dans cet article

Note d’introduction

Vivons nous en démocratie ?

Au premier abord la question peut sembler déplacée, voire absurde. Certes, en France, dans notre système politique, tout n’est pas parfait, mais il semble évident que nous vivons en démocratie. Pourtant, et c’est la raison pour laquelle j’ai eu envie de parler de ce sujet, la question n’est pas si vite répondue. S’il est clair que nous ne vivons pas dans une dictature comme on l’entend habituellement (genre la Russie), notre système politique est-il pour autant une démocratie ?

Ce dossier est principalement une compilation des ressources qui ont au fil des années forgé mon avis sur cette question. Je ne m’attends pas à ce que vous lisiez et regardiez toutes les ressources en une fois, l’idée de ce dossier est plutôt de vous permettre de piocher ce qui vous nourrira sur ce sujet : n’hésitez pas à le mettre en favori et à y revenir.
Il se veut facile à partager avec vos proches qui ne sont pas familiers avec ces réflexions : Madame, Monsieur, si votre enfant révolté·e vous a envoyé ce dossier, c’est qu’il est peut-être temps de le·la prendre au sérieux !

En priorité, jetez un œil aux ressources sur les sujets qui ne vous semblaient pas au premier abord liés à la démocratie, ou alors les opinions qui vous étonnent ou vous dérangent (il y en aura sûrement).

Un texte collaboratif partagé en fin de dossier vous permettra de vous exprimer (c’est important !).


Le serment du jeu de paume, 20 juin 1789

Partie 1

La démocratie c’est quoi ?

Des passant·es pris·es au dépourvu dans la rue répondraient probablement un truc du genre “le pouvoir par le peuple pour le peuple”. Étymologiquement, rien à dire, demos le peuple, kratos le pouvoir, vous connaissez. Vous trouvez peut-être néanmoins que c’est un peu léger et je suis du même avis : une phrase comme celle-là peut désigner tout et n’importe quoi. Surtout, elle n’indique en rien la façon dont le pouvoir est exercé par le peuple.
La démocratie n’est donc pas un régime en soi, mais un adjectif qui décrit un régime : un régime démocratique, un régime autoritaire, dictatorial, totalitaire, etc.
Il est donc plus utile d’étudier directement comment notre régime politique donne (entièrement, partiellement, ou pas du tout) le pouvoir à son peuple. Quel pouvoir ou quels pouvoirs ? Qui fait partie de ce peuple et est en droit d’exercer ces pouvoirs ? C’est ce qu’on va voir par la suite.

La République est-elle une démocratie ?

Ceci est une intro à choix multiples pour vous donner des indices sur ce qui suivra :

Option fun : petite compilation humoristique des astuces pour contourner la démocratie par Esprit Critique (7min)


Option rap : La Canaille - République

Les représentant·es et le vote

En France le régime qui a été sélectionné (5 fois) pour garantir la démocratie à travers l’Histoire est la république. La république est un système représentatif : le pouvoir n’est pas exercé directement par le peuple mais par des représentant·es de ce peuple. On peut déjà commencer à s’inquiéter : le pouvoir par le peuple ?
Qu’à cela ne tienne, si ces représentant·es exercent le pouvoir selon la volonté du peuple, et dans son intérêt. Cela est en théorie garanti par le fait que les représentant·es sont choisi·es par le peuple. On vote pour des gens, on les élit.

Ce qui est étonnant c’est qu’on se pose assez peu la question de comment on les élit. On suppose que c’est d’une façon neutre et représentative, bien réfléchie par celles et ceux qui l’ont instaurée. Pourtant, ça n’a rien d’évident.

Dans cette vidéo (52 min), Tzitzimitl de la chaîne Esprit Critique présente et compare de nombreux systèmes de vote utilisés dans différents pays, pour différents types de décisions. Il critique la capacité de notre système à représenter la volonté du peuple :


Surtout, et à la différence d’autres vidéastes comme Science Étonnante, Tzitzimitl ne présente pas cette question du système de vote comme une question purement technique dans laquelle il s’agirait de trouver “le meilleur système”.
Il compare les systèmes de vote selon leur objectif : cherche-t-on à maximiser la satisfaction de la majorité, en sélectionnant les options les plus souvent préférées ? Cherche-t-on au contraire à minimiser la frustration de la minorité, en excluant les options les plus souvent rejetées ?

En politique, il faut choisir vers quoi on veut aller. La science, l'objectivité, ne sera jamais d'aucune utilité pour départager des gens qui n'ont pas le même but. Aucune expérience scientifique ne nous démontrera jamais ce que nous devons vouloir.

Tzitzimitl

Certaines statistiques toutes simples mettent déjà un coup dur à la représentativité des scrutins :
25 hommes contre 0 femme élue Présidente de la République dans l’histoire du pays,
0 ouvrier·e élu·e député·e par l’élection législative en 2018 alors qu’ils·elles représentent 20% de la population active.

Nos façons de choisir nos représentant·es sont-elles les bonnes ? Suffit-il de changer de système de vote pour réparer la machine démocratique ?

On pourrait également souligner une autre faille : ce n’est pas le peuple qui a le droit de voter, mais les citoyen·nes. Hors tous les membres du peuple, des gens qui vivent en France, n’ont pas le droit de vote : les étranger·ères, mais aussi une énorme partie de la population souvent oubliée : les mineur·es. Savoir si un·e enfant de 12 ans devrait voter pour que ses intérêts soient représentés est une question épineuse, mais il me semble assez évident que de nombreux·euses adultes qui ne s’y sont jamais vraiment intéressé·es, ou encore des personnes âgées en perte de capacités, ont beaucoup moins de compétences pour voter que de nombreux·euses lycéen·nes politisé·es. Alors pourquoi l’âge est-il le critère excluant ?

On peut aussi critiquer le principe même de l’élection. Avant même que la république soit mise en place en France, Rousseau argumentait que l’élection en elle-même est un mauvais système pour donner le pouvoir au peuple car il tend à l’en éloigner. En effet, on s’intéresse à la politique au moment de voter et on ne s’y intéresse plus tout le reste du temps.
Rousseau et Sartre y voient même un détournement de l’idée de démocratie au profit de l’intérêt d’un petit nombre.

Dans cette vidéo (15min), Le Stagirite explique l’idée de Sartre selon laquelle l’élection est conçue par la classe dominante pour diviser les classes dominées :


Étienne Chouard Attention, Étienne Chouard représente une figure controversée et confusionniste. Ces propos sont donc à prendre avec précaution. , que l’on aperçoit dans la vidéo, va même plus loin : selon lui, le problème de démocratie d’une république, c’est sa constitution.

La constitution

Dans une république, le texte qui établit comment le pouvoir est distribué, et qui s’assure, en théorie, qu’il est bel et bien exercé par le peuple dans son intérêt, c’est la constitution. C’est ce texte qui dicte la manière de choisir les représentant·es et leurs pouvoirs respectifs, dans le but d’empêcher que le pouvoir soit confisqué au profit de quelques-un·es.

Or selon Chouard, il y a un énorme problème au fondement même de la république : qui écrit la constitution ? Il affirme que “si cette constitution est écrite par les gens au pouvoir ou par des membres de la classe dominante, alors elle sera organisée de façon à favoriser les intérêts des plus puissant·es au détriment des intérêts des classes dominées”.

Nous n’allons pas croire sur parole l’argument de Chouard (et pas seulement parce qu’à côté d’idées très intéressantes sur la constitution, Chouard est très controversé pour des propos et des positions négationnistes). Nous pouvons tout à fait étudier nous-mêmes la façon dont notre constitution a été écrite (le si) et comment elle organise le pouvoir (le alors).

La sombre Histoire de la Ve république


Comment la Ve république est-elle née ?
C’est là qu’on redécouvre l’histoire pas si lointaine de notre pays : après un coup d’Etat.

En effet, nous sommes en mai 1958, en pleine guerre d’Algérie. Le parlement de la IVe république donne les pleins pouvoirs aux militaires sur Alger. Les généraux menacent alors de prendre Paris si le gouvernement ne forme pas un comité de salut public. Ils font acclamer le nom du général de Gaulle, qui n’avait à priori rien à voir avec le putsch mais en profite pour apparaître comme un sauveur et se fait remettre le pouvoir.

La constitution de la Ve république est écrite par Michel Debré, un proche du général de Gaulle qui deviendra son premier ministre par la suite. Elle est validée en septembre 1958 sur référendum, sur l’espoir qu’une nouvelle forme institutionnelle permettra à de Gaulle de résoudre la guerre d’Algérie.

Pour plus de précisions, voici la passionnante page wikipédia du Putsch d’Alger (voir aussi la série Arte En guerre pour l’Algérie).

La séparation des pouvoirs

Difficile de croire qu’une constitution rédigée pour un général apparaissant comme un homme “providentiel” et appelé au pouvoir par un groupe de généraux à la suite d’un coup d’Etat, dans une situation de crise extrême, soit la meilleure garantie du pouvoir par le peuple pour le peuple.
En dehors de ses systèmes électifs, cette constitution est très critiquée, notamment sur la séparation des pouvoirs, élément souvent considéré comme central dans un régime démocratique : le pouvoir exécutif est disproportionné par rapport au législatif et au judiciaire.

  Pour l’exécutif :
L’exemple le plus frappant est l’absence de toute contrainte sur le président après son élection : absolument rien dans la constitution n’oblige le président élu à respecter son programme, ou bien à rendre des comptes quand il s’en éloigne. Aucune procédure ne permet de le destituer avant la prochaine élection s’il ne respecte pas ses engagements.

C’est donc tout naturellement qu’à peu près aucun président de la Ve république n’a jamais respecté de près ou de loin ses promesses de campagne : pourquoi s’emmerder si rien n’y oblige ? La formule est simple : faire un programme alléchant dans l’unique but d’être élu, faire ce qu’on veut pendant 4 ans, puis faire des mesures populaires la dernière année de mandat pour tenter la réélection.
Autre point déroutant : le président est le chef des armées et peut décider d’engager seul le pays entier dans une guerre, contrairement aux USA par exemple où il doit obtenir l’approbation du parlement.


et s’il ne les réalise pas ?…

  Pour le législatif :
Les député·es étant élu·es juste après les présidentielles (depuis 2002), il est très improbable que le président n’ait pas la majorité à l’Assemblée. L’Assemblée va donc quasi systématiquement valider les propositions de loi du gouvernement et bloquer celles des partis d’opposition : c’est donc le camp politique du président qui écrit et valide les lois. Il est quasiment impossible pour les partis d’opposition de contrer ce phénomène, c’est pourquoi l’Assemblée nationale est souvent qualifiée de “chambre d’enregistrement”, au lieu d’être un pouvoir distinct.

Le président a également le pouvoir de dissoudre l’Assemblée et d’organiser une nouvelle élection législative si ce que fait l’assemblée actuelle ne lui plait pas.
L’inverse n’est évidemment pas possible : seul le premier ministre et son gouvernement peuvent être contraints de démissionner par une motion de censure.

  Pour le judiciaire :
Certain·es magistrat·es très important·es sont tout simplement nommé·es par l’exécutif, comme les procureur·es de la République. Ils·Elles sont les magistrat·es censé·es ouvrir des enquêtes judiciaires quand l’intérêt de la société est attaqué, comme pour les affaires de corruption ou d’abus de pouvoir.

On comprend ainsi que lorsqu’on est nommé·e par le ministère de la justice, on a moins de chance de rechercher des délits chez les membres du gouvernement, les membres de son parti, ou tout autre soutien politique. De nombreuses affaires de corruption dénoncées par des journaux d’investigation comme Mediapart ou Le Canard Enchaîné ne donnent aucune suite car le·la procureur·e de la république est le·la seul·e à pouvoir déclencher l’enquête.

Au contraire, les opposant·es du parti au pouvoir sont régulièrement ciblé·es par des enquêtes, pour des faits avérés, parfois même simplement pour les décrédibiliser politiquement, comme dans l’affaire des perquisitions de la France Insoumise, ou par intimidation, comme dans la tentative de perquisition par le procureur de la république de … Médiapart, qui enquêtait alors sur Alexandre Benalla, collaborateur de l’Elysée.


Alexandre Benalla habillé en policier agressant un manifestant le 1er mai 2018, sous l’oeil bienveillant des vrais policiers…

Pour éclaircir un peu ces questions d’indépendance de la justice (qui sont assez peu intuitives puisqu’en plus de 15 ans de scolarité on a pas jugé utile de nous enseigner les bases de notre système politique), une bonne vidéo du Canard Réfractaire Attention, Le Canard Réfractaire est une figure confusionniste agissant à l’encontre d’idées progressistes. Par exemple, il ne soutient ouvertement pas des luttes de dominé·es, n’a pas de vision intersectionnelle, etc. accompagné d’Etat Cryptique (20min).

Conclusion : Ce n’est pas parce qu’ils·elles sont des humain·es particulièrement cyniques ou manipulateur·rices que les personnes de pouvoir agissent comme elles le font, c’est la façon dont les règles sont écrites qui les encourage fortement.

Bonus Union Européenne :
La constitution de la Ve République n’est pas la seule à laquelle nous sommes soumis·es. Par exemple, bien que nous ayons voté “NON” au référendum sur la constitution européenne en 2005, l’assemblée nationale l’a discrètement approuvée sous Sarkozy, donnant un symbole assez clair de ce que vaut l’avis du peuple en France.
Cette constitution réduit notre souveraineté, notamment sur des questions de politique monétaire et budgétaire : nous ne pouvons pas faire varier notre taux de change avec les autres pays et nous ne pouvons (en théorie) pas nous endetter au-dessus de 3% du PIB par an, entre autres. Pour celles et ceux qui ne voient pas bien ce que ces histoires de monnaie peuvent bien changer à notre vie, Heu?reka l’explique ici en 8 min.

Nous voici à la fin de la première des trois parties constituant ce dossier sur la démocratie. N’hésitez-pas à nous faire des retours en commentant l’article !

Vers partie 2

Vers partie 3