Le Premier Souffle se veut être le postulat philosophique sur lequel le collectif se pose. Il est, si l'on veut, la racine principale des textes fondateurs qui émergeront ensuite du collectif.

Dans cet article

On a l’habitude de voir le masculin absorber grammaticalement le féminin. Ici, le féminin et le masculin sont employés de manière aléatoire, ceci dans le but de conserver une lecture fluide tout en neutralisant la langue.

Quelques (re)définitions

Éduquer Le mot éduquer a été critiqué par des groupes dont nous partageons en grande partie la vision politique. Dans le texte Éduquer est ignoble écrit par le collectif d’enfants berlinois K.R.Ä.T.Z.A, le caractère vertical et aliénant de l’éducation traditionnelle y est décrypté. Bien que nous partageons ce constat, nous choisissons délibérément de nous réapproprier cette terminologie en la redéfinissant. Nous considérons en effet que l’usager s’éduque lui-même en utilisant ce qui l’environne pour le faire.\ Ainsi, un acteur éducatif conçoit et entretient cet environnement éducatif dans lequel l’usager est libre de s’éduquer.
Éthique L’éthique constitue chez les personnes l’ensemble des valeurs qu’elles ont acquises individuellement par expérimentation, leur permettant notamment d’envisager leur morale de façon critique.
Morale La Morale est l’ensemble des valeurs collectives transmises, jugeant du bien et du mal. Ces valeurs sont toujours liées à des sociétés – patrie, communautés, tribus, familles, etc. – et sont souvent imposées aux membres qui les composent.
Cadre Le cadre est l’ensemble de règles régissant un collectif, quel qu’il soit (lois, règlements, règles de vie, etc.), et exprimant la partie explicite du contrat social à laquelle les individus sont inféodés.

Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s’unissant à tous, n’obéisse pourtant qu’à lui-même, et reste aussi libre qu’auparavant. Tel est le problème fondamental dont le Contrat Social donne la solution.

J. J. Rousseau, Du Contrat social, L. I

Liberté individuelle et contrainte collective

Il existe une tension entre individu et collectif, la tension se situant au niveau de la liberté du choix de la contrainte. Bien que la liberté individuelle semble totale si une personne est seule, cettedite liberté est toutefois limitée par un grand nombre de contraintes directes (trouver et se faire à manger, trouver à boire, construire un logement, se déplacer, etc.). Par contre, un individu impliqué dans un collectif s’engage à respecter des contraintes indirectes en échange du soutien du collectif l’aidant à s’affranchir d’un grand nombre des contraintes directes susdites. Ceci est régit par le contrat social, contrat tacite entre l’individu et le collectif.

Selon nous, le contrat social devrait augmenter les libertés individuelles des membres composant le collectif.

Selon nous, le contrat social devrait augmenter les libertés individuelles des membres composant le collectif, cependant de nombreuses dérives groupales finissent par les diminuer et rendent celui-ci inadéquat. Des contraintes indirectes peuvent alors être vécues comme des contraintes directes par des individus. D’autre part, le contrat social est imposé aux individus du collectif et les enferme, car il n’existe pas une multiplicité de modèles sociétaux organisés autour d’autres contrats sociaux. De plus, la complexité du contrat social est immense tant ce dernier s’est immiscé en profondeur dans les moindres sphères collectives et individuelles du collectif. L’organisation sociale peut donc très rapidement glisser d’un collectif libérant (des contraintes directes) à un collectif aliénant (aux contraintes indirectes imposées sur les individus). La morale agit comme liant de ce contrat tacite et amène les personnes à se soumettre à ce contrat social sans chercher à le comprendre. Ainsi, pour être capable de libérer l’individu impliqué en son sein, le collectif doit mettre en place un contrat social basé sur l’éthique.

Comment penser l’éthique dans un contrat social ?

L’éducation éthique prétend que chaque personne est en mesure de comprendre les règles du contrat social, et que la collectivité est en mesure d’envisager les individus comme partie prenante d’elle-même ce qui leur permet de libérer au maximum leur puissance d’agir.
L’éducation éthique mise sur la justesse de son cadre et la participation des individus à sa mise en place. Le respect du cadre découle de cette logique alors qu’aucun processus de coercition ou de manipulation n’est utilisé. À l’inverse, une éducation basée sur la morale utilise la violence (quelle qu’en soit la forme) comme instrument essentiel au maintien d’un cadre injuste. Une éducation éthique favorise le remplacement des normes morales internalisées par les individus par une « éthique individuelle » qu’il décide librement d’adopter. Il nous paraît important de voir ce processus comme doux, et installé de manière durable, il permet aux individus l’expérimentant une émancipation toujours plus grande. En effet, l’individu cheminant sur l’éthique devient capable de dépasser les asservissements que lui imposent les contraintes indirectes et injustes du contrat social auquel il est inféodé, et que la morale lui vendait comme justes. Cette libération à proprement parler s’accompagne systématiquement de joie, mais ce changement d’état peut générer de l’inconfort (pouvant devenir souffrance).

Dans cette tension entre individu et collectif, l’éthique agit donc comme régulateur dynamique. Dans un collectif, l’éthique permet de penser les libertés individuelles tout en les articulant avec les limites des autres individus. Cette articulation génère des contraintes collectives, qui ont la particularité de continuer à augmenter les libertés individuelles.
Un tel cadre nécessite toutefois de se défaire d’habitudes liées à toutes les expériences vécues précédemment par l’individu dans un cadre moral. La posture de l’individu au sein d’un cadre éthique devient radicalement différente, car ce dernier comprend alors les logiques de limites défensives et offensives . Pour véritablement adopter une posture éthique adéquate, l’individu socialisant doit nécessairement tenir compte des dynamiques dans lesquelles sont inscrites les autres personnes du collectif. Un individu largement soumis à des biais oppressants ne se libérera pas avec la même facilité qu’un individu ne les subissant pas, pour autant, aucun processus culpabilisant ne devrait intervenir dans leurs interactions pour être en adéquation avec le cadre éthique. Ainsi, chaque individu est dans un état résultant de son historique personnel (expériences passées) et est soumis à des dynamiques liées à l’environnement dans lequel il évolue. Chaque personne a donc une inertie propre et est soumise à des forces qui définiront les possibles cheminements vers son éthique personnelle.

Un cadre doit pour subsister mettre en œuvre un système fonctionnant en cohérence avec les logiques qu’il implique. Ainsi, un cadre moralisant s’armera d’une éducation culpabilisante et violente, d’une (in)justice culpabilisante et violente, etc. En résumé, de normes sociales offensives envers les individus qui composent le collectif. À l’inverse, un cadre éthique mettra en œuvre une éducation se basant sur les motivations internes des individus composant son collectif, et proposera un environnement où les individus sont libres de s’éduquer. Tous les outils d’éducation existant déjà dans la morale doivent alors être envisagés différemment afin de permettre à l’éthique de s’y déployer.
À Second Souffle, nous envisageons la vie relationnelle (justice, posture…), la vie matérielle (aménagement, outils, budget…), le rythme (vie quotidienne, fréquence d’activités…) et l’activité (obligatoire, facultative, organisée, spontanée…) comme 4 axes fondamentaux pour mettre en œuvre un cadre éthique.

Pourquoi le premier souffle ?

Selon nous, Second Souffle ne peut s’installer sur une base dite neutre (neutre = morale préexistante), et doit pouvoir assumer un cadre de départ favorable à la mise en œuvre de ses visées éthiques. C’est pourquoi nous assumons ce postulat philosophique non négociable. La forme organisationnelle de Second Souffle se doit d’être en adéquation avec ce texte, cela implique donc une remise en question systématique des hiérarchies existantes, qu’elles soient de fait ou formalisées. Second Souffle sera la possibilité d’un lien entre des acteurs et actrices partageant cette approche éthique. Ainsi, des milieux politiques largement impliqués dans des mises en œuvre du vivre ensemble pourront profiter de cet espace pour confronter et/ou coordonner leurs stratégies de lutte, voire se fédérer.


En tant qu’acteurs éducatifs partageant une vision anarchiste et impliqués dans l’éducation populaire, nous envisageons cette association comme un pont entre ces deux mondes. Nous rêvons Second Souffle comme la connexion d’îles pirates d’en-dehors dans un océan de morale. Ces îles que nous côtoyons déjà continueraient alors leurs activités, mais auraient accès à de nouvelles passerelles leur permettant de s’entraider et de partager leurs singularités. Nous espérons que de ces relations libres découle une flopée d’îles bâtardes plus émancipatrices les unes que les autres, permettant d’ouvrir de nouveaux horizons aux voyageurs ou naufragés.