Je ne veux pas rendre mon incarcération facile. Je serais devenu un mort-vivant. Je veux la rendre dure, même si cela me coûte d’être brutalisé, même en prison je veux décider de ce que sera chaque jour de ma vie, je veux lutter du mieux que je peux.
Je ne suis pas seul, j’ai beaucoup de camarades qui résistent de la même manière et ce que j’ai vu avec les prisonniers longues peines, c’est qu’après dix ans certains d’entre eux sont comme morts. Mais ceux qui continuent à résister malgré la brutalité et l’isolement restent en vie.
Mark Barnsley

Dans cet article

On a l’habitude de voir le masculin absorber grammaticalement le féminin. Ici, le féminin et le masculin sont employés de manière aléatoire, ceci dans le but de conserver une lecture fluide tout en neutralisant la langue.

Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître, s'il ne transforme sa force en droit et l'obéissance en devoir.

J-J. Rousseau

Note de Second Souffle.

  Ça fait un moment qu’on essaye de travailler sur l’autorité de manière systémique, et envisager l’autorité de cette manière amène forcément à réfléchir sur les systèmes d’obéissances. Ça fait longtemps que je suis anticarcéral et que je pense qu’il y a un continuum entre l’éducation non formelle, formelle et la prison. En écrivant un chapitre expliquant explicitement le rapport entre prison et éducation, j’ai beaucoup pensé à la brochure « Il faut porter des masques de ski » de Mark Barnsley. Je me suis alors dit que ce serait intéressant de mettre un extrait afin d’illustrer mon propos.

  C’est la relecture du chapitre en question qui a suscité ma curiosité quant à Mark Barnsley. Nous étions alors en train d’écrire une brochure questionnant en profondeur la posture éducative. Animé par la lutte anti-âgiste depuis plusieurs années, nous nous creusons les méninges pour déployer des espaces dégagés d’un maximum d’injustices que bien des enfants subissent quotidiennement dans les différentes institutions qu’ils fréquentent. Je savais que les logiques punitives peuvent être comparables dans les prisons et dans les cadres éducatifs, mais je n’avais jamais pris le temps de creuser ce sujet. On s’est mis à chercher la brochure un peu partout. Ça a pris un long moment avant de la retrouver : les infokiosques, le deep web, les réseaux militants…, elle restait introuvable ! À un moment, on a bien cru qu’il faudrait nous satisfaire d’extraits qu’on avait glanés ici et là.

  On a d’abord cherché à joindre La Brèche, l’éditeur original de la brochure. Mais il semble que le collectif ait totalement disparu, et l’adresse mail ne fonctionnait plus. J’ai multiplié les mails et les demandes à divers collectifs susceptibles de l’avoir. Le squat dans lequel je l’avais trouvé ne l’avait plus non plus. Elles ont néanmoins poursuivi leurs recherches et ont pu nous scanner une version mouillée de la brochure.

  C’est plutôt drôle, on a eu comme le sentiment d’avoir mis la main sur un trésor perdu. Nous étions carrément excités lorsque nous avons reçu le fichier.

  On s’est assez vite dit qu’il fallait qu’on le réédite, et ma relecture a renforcé cette idée.

  Oui, nous publions à Second Souffle, et nous avons envie de rééditer des textes qui nous semblent fondateurs. La motivation était là et en quelques heures l’entièreté du texte était retranscrite. Nous avons d’ailleurs pris la liberté d’appliquer quelques modifications mineures en neutralisant la langue et en y ajoutant quelques virgules qui nous semblaient nécessaires… Cette réécriture m’a permis de lire le texte en profondeur. Bien qu’en situation d’extrême oppressé, et même après avoir subi de graves injustices de la part de l’État, j’ai été frappé par la force avec laquelle Mark a su rester fidèle à ses convictions anarchistes. Pour lui, ne pas abdiquer face à la peur — levier omniprésent au sein des systèmes pénal et carcéral — n’était pas une option, mais une nécessité.

  La prison agissant comme bâton de l’ensemble d’une société, elle est l’espace le plus terrifiant que la société nous propose. Elle est l’endroit qui nourrit de violences nos fantasmes et cauchemars. C’est elle qui nous pousse à suivre des lois, même lorsqu’elles sont autant injustes qu’illégitimes. C’est elle qui protège des oppresseurs en règle, face à des oppressés illégaux.

  Mark analyse avec finesse les enjeux des systèmes punitifs déployés par la prison, qui ont tenté de le briser, et contre lesquels il n’a jamais cédé de terrain. La description qu’il fait de ces systèmes et des stratégies mises en place par l’Administration pénitentiaire britannique dégage des concepts allant bien au-delà de la prison elle-même.

  En effet, dire « non » à un père, un prof, une éducatrice nous permet de prendre conscience de l’absence de leurs « supers pouvoirs ». Mark a lui aussi affronté le système punitif dans toute sa violence, et celui-ci n’avait pas non plus de supers pouvoirs. Une grande contradiction de ce texte est qu’il aborde le système carcéral avec deux points de vue opposés. D’une part, l’État à trop de droits sur nous, le combat est donc inégal ; mais d’autre part, il nous est possible de le combattre jusqu’à ce qu’il ne sache plus quoi faire de nous.

  C’est un témoignage impressionnant de conviction. Mark a su rester intègre et n’a cédé à aucun chantage, ceci même lorsqu’il était en situation d’extrême isolement. Je rejoins cette critique quant à la contradiction de ce texte : avec sa simple couverture et sans uniforme, Mark devient le super héros d’une lutte contre la prison, mais il est clair que tout le monde ne peut adopter une telle posture.

  Ainsi, nous ne prenons pas ce témoignage isolé comme possible pour n’importe qui, nous savons qu’il est extrêmement difficile d’atteindre un tel engagement dans la résistance. Nous avons conscience du danger que représente un récit individuel s’il est perçu comme un plan stratégique à suivre à la lettre, mais décidément attaché à l’analyse systémique, nous nous disons que ce texte reflète une tension individu/ collectif qu’il nous faut saisir. Le système peut être dépassé par la rébellion d’une individue, mais si cette individue est isolée, sa force ne sera pas suffisante à contrer le système…

  …et c’est une des raisons pour laquelle je considère les concepts qu’il dégage comme désormais incontournables dans notre réflexion libertaire. En développant sur les stratégies qu’un oppresseur peut mettre en place pour dominer des personnes, nous avons essayé de montrer en quoi les violences d’un système peuvent être visibles tout comme invisibles.

  Et un système d’obéissance totale use de ces violences sournoises, en créant notamment des privilèges pour diviser ses potentiels adversaires. Il désynchronise leurs luttes et les pousse à la résignation. Il faut donc absolument agir contre ces systèmes d’obéissance dans leur dimension collective, qu’ils aient lieu en prison, en famille, en colo, en squat, à l’école, etc. Parallèlement, les forces individuelles en lutte s’affranchissent de la plus grande arme du système : la peur. Une fois cette peur retirée, il devient de plus en plus difficile pour un système punitif de prendre le dessus. L’enjeu est de transformer la force individuelle en force collective, et le partage de ce témoignage rend cela accessible.

  Pour atteindre ce stade de désaliénation, il est nécessaire d’être capable de comprendre en profondeur les enjeux cachés derrière chacune des méthodes déployées par un tel système. Nous pouvons ainsi réfléchir aux meilleurs moyens de les contrecarrer. Aussi, lorsque nous sommes en situation de dominantes telles que nous pouvons l’être dans des rapports éducatifs, cette analyse nous empêche de glisser vers des pratiques qu’il nous faut éviter au maximum si nous souhaitons construire des cadres justes.

  Ainsi, un Mark Barnsley en lutte et déjouant le système de la prison représente une inspiration collective nous permettant d’augmenter notre force de lutte. Son témoignage nous donne l’occasion de regarder les mécanismes d’un système d’obéissance face à l’un de ses adversaires les plus récalcitrants. Il est également un des rares textes détaillant les interactions entre le système de privilèges et le système punitif.

Note de La brèche.

Dans notre esprit Mark Barnsley était ce type qui avait passé dix ans derrière les barreaux pour une simple altercation avec des étudiants avinés. Autant dire la victime d’une vengeance d’état puisqu’il était surtout connu pour son engagement et ses convictions anarchistes. Une fois de plus, cette histoire réveillait en nous, sourdement, la crainte de la prison et de son arbitraire, réactivant dans nos consciences la menace à la fois réelle et fantasmée que fait planer l’état sur ceux et celles qui refusent ce monde. La prison remplissait donc doublement son rôle de maintien de l’ordre en punissant ou en isolant celui que la société considérait être un agitateur et en effrayant le reste de la population, toujours craintive face à la puissance et à l’arbitraire de l’état.

Mais Mark n’est pas cette victime que nous imaginions, l’homme effondré auquel nous pensons chaque fois que nous entendons cette histoire, qui inlassablement se répète. Mark est un grand gaillard qui, s’il ne cache pas les stigmates de l’incarcération, garde un discours positif et offensif contre ce monde. L’histoire qu’il est venu nous raconter, la sienne cette fois, n’est pas celle de ce qu’il a subi en taule, mais plutôt celle de ce qu’il leur a fait subir. Son témoignage n’est pas celui des humiliations qu’il a vécu, des brimades qu’il a enduré ou de l’abjection que constitue la prison, mais celui de son acharnement à vivre, coûte que coûte à l’intérieur d’un univers hostile qu’il a pourtant réussi à faire sien. Son récit enfin n’est pas un réquisitoire revanchard contre ce que lui a fait la prison, mais un exemple rempli d’espoir et de détermination de ce qu’on peut faire de la prison.

Certains abolitionnistes ont parfois tendance à s’appesantir sur l’ignominie de la prison à travers d’interminables descriptions des conditions dégradantes de détention. Cette dénonciation du caractère inhumain des taules nourrit cette crainte que ressente les gens face à la prison et relaye cette fonction principale du carcéral qui est de faire peur. À l’inverse, le récit de Mark nous permet de ne pas être, malgré nous, des auxiliaires de l’Administration pénitentiaire à l’extérieur des murs et prouve qu’il est possible de parler des taules sans reconduire la crainte qu’elle suscite. Un discours positif donc en contraste avec les sempiternelles attitudes victimales et pessimistes qui plombent nos luttes, mais qui ne versent pas pour autant dans l’angélisme ou le romantisme révolutionnaire, car comme le rappelle Mark, si c’était facile, on n’appellerait pas ça une lutte.

La brèche, septembre 2004

Il faut porter des masques de ski !

Salut, pour ceux qui ne me connaissent pas, mon nom est Mark Barnsley, je ne suis pas là pour vous parler en tant qu’intellectuel ou spécialiste, je ne suis qu’une personne ordinaire, mais je peux parler de quelque chose que je connais et, malheureusement, ce que je connais c’est la prison. J’ai passé la moitié de ma vie adulte, soit dix ans, comme prisonnier anarchiste, soit directement à cause de mes activités politiques, soit parce que j’ai été l’objet d’un montage organisé par l’État.

Je suis né en 1961 dans une ville très similaire à Lille, Sheffield, dans le nord de l’Angleterre. Je viens d’une famille ouvrière. J’ai grandi dans une période très différente de celle actuelle, dans les années 60. C’était une grande période de lutte internationale, lors de laquelle nos ennemis étaient sans arrêt attaqués, et d’une certaine façon, nous payons toujours le tribut de cette époque.

Il y avait vraiment partout des foyers de résistance de la classe ouvrière. Aux États-Unis, il y avait le mouvement pour les droits civiques, contre la guerre du Vietnam, les Blacks Panthers ; en Angleterre, il y avait les Angry Brigades ; en France, il y a eu les événements de 1968 ; il y avait l’émergence et la croissance de la lutte armée en Italie et en Allemagne ; la résistance à l’occupation britannique en Irlande. Il est pour moi difficile d’imaginer qu’il était possible de grandir à cette époque sans être impliqué dans des activités politiques. Bien sûr, beaucoup de gens ne l’étaient pas, mais moi je l’ai été dès mon plus jeune âge. Je suis devenu actif au sein du mouvement anarchiste à l’âge de 14 ans. J’ai participé à la publication d’un bulletin antifasciste, anarchiste, Schools Out !. Je me suis impliqué dans le groupe anarchiste de Sheffield qui existait depuis le 19e siècle. Je me suis impliqué dans des activités antifascistes radicales, dans le soutien aux prisonnières, aux grévistes, dans bien des domaines de luttes.

Mais c’était une époque différence, et vraiment, à cette époque, si on s’impliquait dans le mouvement anarchiste, on se retrouvait confronté à la question de la lutte armée. Peut-être que maintenant ces idées sont considérées comme marginales, et maintenant, avec la distance de 2025 ans, il est facile d’identifier les erreurs que nous avons commises. Mais à ce moment, ces idées étaient courantes ; et quand on s’impliquait dans le mouvement anarchiste, il était inévitable de s’impliquer tôt ou tard dans la lutte armée.

En 1978, à l’âge de 17 ans, je suis parti avec d’autres camarades anarchistes au Liban. Il s’agissait principalement de s’impliquer dans la lutte antifasciste et anti-impérialiste là-bas. Dans cette optique, j’ai participé à la guerre pendant deux ans. J’ai également été impliqué dans des activités armées dans d’autres pays. Et en 1980, juste avant les 19 ans, j’ai été arrêté à Douvres, dans le sud de l’Angleterre, en possession d’explosifs, en l’occurrence de plastique. J’ai été arrêté par le détective Clark qui faisait partie de la police politique britannique Le détective Clark m’a arrêté en 1980 à Douvres, dans le sud de l’Angleterre. En 1994 j’ai été arrêté dans le nord de l’Angleterre. Quatorze ans plus tard, M.Clark était responsable de ce commissariat, c’est une coïncidence… .

Donc j’ai été incarcéré pour la première fois. Et bien sûr, en tant que révolutionnaire, je ne pensais pas que ce serait une période propice pour se reposer. Il y avait une lutte qui se déroulait dans chaque prison, une lutte dans laquelle tout révolutionnaire devrait s’impliquer. Et malgré mon jeune âge, je me suis investi totalement dans cette lutte. Et lorsque j’ai été libéré, j’étais certain que l’Administration était bien contente de se débarrasser de moi, comme c’est souvent le cas.

Après ma libération, je me suis de nouveau impliqué à temps complet dans la lutte anarchiste, dans la scène des squats, dans des tentatives de création de centres anarchistes, dans des activités antifascistes radicales, dans le soutien aux prisonniers. Et aussi dans l’édition Sheffied Anarchist, une publication existant depuis 1891.

Sheffield est une grande ville, mais pas si grande que ça. À cette époque, environ 500 000 habitantes. Il était évident, surtout en tant que terroriste condamné, que je passerais beaucoup de temps sous surveillance policière. J’ai été l’objet de harcèlement, ma maison a été perquisitionnée, je me suis fait arrêter, tabasser. À cette époque, ces choses arrivaient quotidiennement. En 1994, quelque chose d’un peu bizarre est arrivé. Quand j’étais impliqué dans la lutte armée, quand je fréquentais les manifestations, les rassemblements, je voyais l’arrestation comme quelque chose d’envisageable. Mais en 1994, alors que je promenais ma fille en poussette, j’ai été attaqué par 15 petits bourges, des étudiants bourrés. J’ai été frappé avec une bouteille, coupé avec un couteau, ils m’ont cassé deux côtes, le nez, j’ai perdu des dents, bref, je me suis fait sérieusement casser la gueule. Mais cinq de mes assaillants ont également été blessés, et lorsque la police est venue pour procéder à des interpellations, c’est en fait moi qui ai été arrêté.

Ainsi, j’ai été de nouveau incarcéré ; après un an de préventive, je suis passé en procès. Bien qu’il y avait beaucoup de témoins de l’incident, j’ai été inculpé pour avoir attaqué 15 étudiants. Et alors que la police et la partie adverse ont usé de toutes les combines les plus sordides, et alors que j’ai été acquitté de 3 chefs d’inculpation, j’ai tout de même été condamné. Normalement, en Angleterre, une telle affaire ne serait pas si sérieuse. On se ferait condamner à du sursis ou à une courte peine de prison ferme. Mais en tant qu’anarchiste, j’ai été condamné à 12 ans de réclusion. Ce n’est pas une erreur judiciaire accidentelle. C’est inévitable, et on a vu ce genre de choses arriver un grand nombre de fois. L’État utilise la loi comme une arme pour faire disparaître des militantes qu’il n’arrive pas à faire taire autrement. C’est arrivé à des camarades avant moi, et c’est également arrivé depuis. C’est quelque chose qui ne devrait vraiment pas nous surprendre, car par exemple, l’État anglais, en Irlande, est allé jusqu’à assassiner des avocates. Et ce qui m’est arrivé est loin d’être comparable. En tant qu’anarchiste, je n’attends pas de quartier de la part de l’État, mais en retour, je ne suis pas disposé à lui en faire.

Avant de parler de mon expérience carcérale, je voudrais revenir sur le système carcéral britannique. Sous de nombreux aspects, ce système est très démodé, vieillot, mais également très austère et très brutal. Ce système est divisé entre les prisons de sécurité maximale, les prisons de haute sécurité, les prisons de sécurité moyenne et les prisons de basse sécurité. Normalement, j’aurais dû purger la peine dans une prison de sécurité moyenne, mais dans les faits je l’ai purgé dans des prisons de sécurité maximale ou haute, dont deux années en isolement. Lorsque je suis sorti, j’étais dans une prison de sécurité maximale. Donc en une minute, je suis passé de la détention dans une prison de sécurité maximale à la rue. Il est inévitable que les gens résistent lorsqu’ils sont condamnés à des peines de prison. Dans toutes les prisons, il y a toujours eu des luttes pour de meilleures conditions de détention.

En ce qui concerne l’histoire des luttes carcérales britannique, le 1er événement significatif s’est déroulé en 1969. Quelques années avant, le gouvernement avait institué le système des prisons de sécurité maximale. Il n’y avait qu’un petit nombre de ces prisons. Celle de Parkhurst était située sur l’île de Wight, au large de la côte sud de l’Angleterre. L’État a utilisé son isolement géographique pour mieux isoler les prisonnières. La prison est un monde maintenu délibérément dans le secret, et Parkhurst était l’une des prisons les plus isolées du système carcéral anglais. Mais en 1969, il y a eu une grande mutinerie et les prisonniers ont pris le contrôle de la prison. À cette époque, le personnel pénitentiaire n’avait pas l’habitude de faire face à des émeutes et ce fut la première grande mutinerie dans l’histoire contemporaine de l’Angleterre. Ils ont essayé de se confronter aux prisonnières. Un certain nombre de surveillants ont été sérieusement blessés. Cela a vraiment effrayé l’institution pénitentiaire et a eu un impact énorme pendant les vingt années à venir. Les dix années qui ont suivi ont été riches en luttes au sein des prisons, car elles reflètent souvent celles des classes à l’extérieur, et pendant les années 70 elle avait atteint un fort niveau en Angleterre. Les prisonniers ont formé leurs propres organisations et ont combattu pour de meilleures conditions. Il y a eu un grand nombre de mutineries. Les prisons de sécurité maximale étaient devenues littéralement des zones d’autonomie pour les prisonnières, où l’État a été forcé de faire des concessions, et où les prisonniers ont pu jouir d’un certain degré d’autonomie.

Mais alors que dans les prisons de sécurité maximale, les détenus disposaient d’une relative liberté, dans les maisons d’arrêt les conditions étaient de plus en plus misérables. La brutalité, la mort étaient fréquentes. La surpopulation était terrible, les détenues devaient encore pisser dans des seaux avec quatre détenues entassées dans des cellules individuelles. En 1991, la maison d’arrêt de Strangeways à Manchester a explosé. Ils ne s’attendaient vraiment pas à une mutinerie dans cette prison, car les surveillantes maintenaient un contrôle très strict. Elle était célèbre pour sa brutalité : 90 % des surveillants là-bas étaient des fascistes actifs. Ils avaient même leur propre section du National Front. Mais la prison a tout de même éclaté, les prisonnières ont pris le contrôle de la prison et viré les surveillants. Le siège de la prison a laissé place à une occupation du toit. Les détenus l’ont occupé pendant deux semaines. Cela s’est passé sous les yeux des médias internationaux. Ce fut quelque chose de très embarrassant pour l’Administration pénitentiaire et pour l’État. Et Strangeways a vraiment marqué quelque chose. L’État, après avoir dû faire des concessions, a commencé à mettre en place des stratégies pour en finir avec la lutte carcérale.

Je suis arrivé en prison en 1994. Pendant les cinq années qui ont suivi, ce furent des temps très durs pour les prisonniers prêts à lutter. Mais j’ai pu observer en première ligne la vague de répression qui s’est abattue. Car les stratégies et les tactiques utilisées par l’État pour casser les prisonnières étaient déjà souvent bien implantées et, dans l’ensemble, elles étaient importées des États-Unis. La première prison dans laquelle je me suis retrouvé en 1994 était une prison privée, Doncaster. Dans cette prison, avant l’institution de cette vague de répression, les prisonnières actives arrivaient à s’organiser de manière très efficace. La prison manquait de personnel, et les prisonniers en tiraient un maximum d’avantages. En tant que représentant des prisonniers, je pouvais faire plus de choses que la directrice, car j’avais beaucoup plus de crédit auprès des détenues. Dans l’aile dans laquelle j’étais, nous avions un contrôle presque total, et les surveillants avaient peur de venir. Nous disposions du maximum d’autonomie possible pour des prisonnières. Et nous avions réussi cela grâce à des actions combatives.

En juillet 1994, il y a eu une évasion de la prison de Whitemoor, une prison de sécurité maximale. Un petit groupe de détenus de l’IRA Armée républicaine irlandaise y était enfermé dans une unité spéciale. Ils ont réussi à s’évader bien qu’ils aient été rattrapés plus tard. Ils ont tué un surveillant au cours de l’évasion. Ça a été un énorme embarras pour l’État, surtout parce qu’on a découvert que les surveillantes qui étaient supposées les surveiller de très près jouaient aux cartes. Six mois plus tard, il y a eu une autre évasion d’une prison de sécurité maximale. Dans cette prison, le directeur avait une habitude peu banale : il aimait agiter ses clefs devant les gens à qui il parlait. Un des prisonniers les regardait toujours attentivement et a réussi à faire une copie ! C’est comme ça qu’a pu avoir lieu l’évasion. C’était à nouveau très embarrassant : la direction pénitentiaire s’est donc fait virer, le ministre de l’Intérieur a subi énormément de pressions pour le contraindre à la démission.

Ces deux évasions ont été véritablement le signal qui a déclenché une vague de répression déjà programmée pour les prisons. La répression a commencé à se déchaîner à ce moment-là. Il y a eu un grand nombre de stratégies utilisées, mais les deux plus importantes pour casser les détenues furent celles-ci : l’État a introduit un système de classement spécifique basé sur la règle diviser pour mieux régner. Les prisonnières étaient divisées en 3 catégories (élémentaires, standards et réhaussées). En fonction de ces classements arbitraires, elles recevaient par exemple plus ou moins de visites par semaine. Les élémentaires ne pouvaient en recevoir qu’une par mois alors que les standards pouvaient en recevoir une par semaine.

Au départ, le système était relativement efficace. La différence de classement entre les prisonniers était assez petite. L’État a fait attention à ne pas introduire de système de classement dans les prisons de sécurité maximale parce qu’il savait qu’il y aurait là une résistance. Mais, au fur et à mesure, ce système a pris de l’ampleur et a fini par contrôler l’ensemble du quotidien des prisonnières : le temps qu’elles passaient en cellule, le travail qu’elles devaient faire, leurs visites, l’argent qu’elles pouvaient dépenser, tout. Pour être classé par l’Administration pénitentiaire dans la première catégorie, et donc bénéficier des conditions de détention que tout le monde avait avant l’instauration du classement, il fallait être une balance. Si on était classé en élémentaire, on était plutôt placé à l’isolement où les conditions sont toujours très mauvaises. Mais il y a eu une énorme résistance contre ce programme.

Pour miner ce mouvement, l’État a utilisé une autre arme : en 1995 le dépistage obligatoire d’urine a été introduit. Dans les années 70 et 80 la culture du cannabis était répandue dans les prisons britanniques. C’était toléré et même encouragé, mais l’héroïne était, elle, très méconnue. En tout cas, le cannabis pouvait être détecté dans les urines pendant quarante-cinq jours, alors que l’héroïne n’était détectable qu’un ou deux jours. Donc en introduisant ces tests d’urine, l’État a pratiquement encouragé le remplacement de la culture du cannabis par celle de l’héroïne.

Ces deux stratégies combinées ont énormément miné ce mouvement de prisonniers. L’État britannique avait déjà essayé d’introduire le système de classement dans les années 70 dans le même but. Mais à cette époque, les détenues étaient trop combatifs. Dans les années 90, après que la culture de l’héroïne se soit implantée, ils se sont confrontés à un autre genre de prisonnières : les enfants de Margaret Tatcher. Si on s’intéresse à l’évolution de la résistance des prisonnières, on peut constater l’efficacité de ces stratégies. En seulement quelques années, l’État a pu regagner du terrain sur ce qu’avaient gagné les prisonniers aux prix de longues luttes. Il a fallu reconstruire depuis le départ la lutte en prison. Il était inévitable que la résistance reprenne quoi qu’il en soit, et c’est ce qui s’est passé en Grande-Bretagne. J’ai parlé de mon expérience à Doncaster : là-bas ils se sont servis contre moi, la première fois en 1991, d’une autre de leurs armes contre les prisonnières, appelée ghosting.

Ghosting vient du mot ghost, fantôme. C’est comme une disparition. Je crois que c’est un système que beaucoup d’États emploient contre les prisonniers. C’est comme être kidnappé : on vient vous chercher dans votre cellule au milieu de la nuit, ou alors ça peut être pendant un parloir, un transfert à l’hôpital ou une visite à l’infirmerie, à tout moment… Dans tous les cas, on est mis au secret, à l’isolement et aucune solidarité ne peut être témoignée. Vous êtes emmené immédiatement vers une unité d’isolement et en général, tabassé comme il se doit. Puis transféré vers une autre unité d’isolement un peu plus lointaine. C’est un processus qui peut être répété durant plusieurs mois, voire plusieurs années, durant lequel vous êtes continuellement transféré pour être toujours plus isolé.

C’est ce qui m’est arrivé pour la première fois à Doncaster : j’ai été transféré 22 fois successives. Pendant les huit dernières années de ma détention, j’ai ainsi connu les moindres recoins des prisons d’Angleterre. Après mon procès, j’ai été placé dans la prison de sécurité maximale de Full Sutton, à côté de York, dans le nord de l’Angleterre. À cette époque, en 1996, la vague de répression était en train de se concrétiser, mais il y avait inévitablement une certaine résistance. Au début de l’année 1997, il y eut une énorme mutinerie qui a permis de prendre le contrôle de la prison. C’est un moment très excitant pour n’importe quelle prisonnière. Simplement l’opportunité de ne pas être dans sa cellule, d’être avec des amis lorsque la nuit tombe. Et la possibilité de pouvoir détruire de tes propres mains le lieu qui te tient reclus.

Les dommages de cette mutinerie ont coûté deux millions de livres à l’État et pendant que nous la célébrions nous savions que des punitions collectives en découleraient. La bande de prisonniers qui a fait ça savait aussi qu’ils ne se reverraient pas pendant des années. Donc nous en avons profité pour en faire vraiment une fête de la résistance. Nous avons pris les fichiers secrets tenus sur chaque prisonnière pour en faire un feu de joie. Nous avons démonté la grille d’acier de l’entrée de la prison pour la jeter sur le feu. Nous avons pris la nourriture des congélateurs pour en faire un barbecue. Après ce barbecue avec la bouffe, nous avons fait un barbecue de la prison. Les dommages étaient si importants que les surveillants, les jours suivants, étaient terrifiés, même s’ils étaient plusieurs centaines en tenue anti-émeute.

Je me souviens avoir marché hors de la prison, en riant parce qu’ils avaient peur de me regarder dans les yeux. Juste avant cela, j’étais dans ma cellule avec un type de l’IRA qui ne pouvait pas retourner dans la sienne. On a entendu les surveillantes s’approcher en formation militaire. Même si nous savions que nous allions être brutalisés, nous ne pouvions nous empêcher de rire. On riait tellement tous les deux qu’on en roulait sur mon lit. Quand le surveillant est arrivé à ma porte et a ouvert l’œilleton, j’ai dit « Merci mon dieu, nous voilà sauvés », et nous avons ri encore. Parce qu’heureusement au début de l’émeute j’avais un masque de ski et c’était donc impossible pour eux de m’identifier. Deux ans plus tard, quand l’État a décidé qu’il faudrait qu’il y ait des boucs émissaires, ils ont inculpé un groupe de quinze prisonniers pour cette mutinerie. J’ai réussi à être le témoin principal pour leur défense. Aucun d’eux n’a en fait été reconnu coupable. Les autorités étaient encore plus en colère contre moi qu’avant. Ils avaient perdu leur vocation d’institution carcérale. La prison s’appelait Full Sutton (totale Sutton), mais n’était plus après que Half Sutton (demi-Sutton). Et finalement, personne n’a payé pour les dommages et je me suis dit qu’ils allaient peut-être me les faire payer d’une manière ou d’une autre.

Très peu de temps après, je me suis retrouvé de nouveau à l’isolement et j’ai été transféré partout dans le pays, même hors de l’Angleterre, au Pays de Galle. Je suis resté deux ans en isolement. L’État n’a pas fait ça juste pour me punir, mais pour faire un exemple, pour dire aux autres prisonniers « si vous vous opposez à nous, voilà ce qui va vous arriver… » Parce que tout le monde déteste l’isolement plus que toute autre chose. Ils espèrent que la leçon qu’en retiendront les prisonnières sera « voilà ce qui vous arrivera si vous êtes solidaires les unes des autres. » Je pensais qu’il était vraiment très important de contourner ce message, parce que chaque fois que je me trouvais en unité d’isolement je me sentais quand même très fort. L’État n’a jamais réussi à m’isoler complètement ni à me casser, parce que dans toutes les prisons où j’allais les autres détenues me connaissaient de nom et elles continuaient à me manifester leur soutien comme elles pouvaient. Et à l’extérieur, le soutien ne se limitait pas à un petit groupe, mais constituait un réseau dans tout le pays. En me transférant si souvent ils m’ont finalement donné la possibilité de foutre plus de bordel. J’ai ainsi pu prendre contact avec des détenus à travers tout le système carcéral et j’ai pu en tirer quelques avantages jusqu’à aujourd’hui encore. Au final, le système carcéral était à court de prisons qui puissent m’accueillir.

Maintenant j’ai accès à une grande partie des fichiers qui me concernent comme la loi l’autorise après un certain temps. Il y en a certains qui sont vraiment amusants à lire, par exemple les dossiers qui contiennent toutes les lettres des matons pour les directions de prisons. Par exemple, ils écrivaient « SVP prenez ce type, il n’est pas si mauvais que ça, mais SVP prenez-le même pour un mois seulement. » C’était un peu comme s’il y avait différents clubs de gentlemen à travers le pays qui me réclamaient. Chaque fois que je quittais une prison, la matonnerie était ravie de me voir partir. Je crois que c’est vraiment la meilleure manière de s’occuper en prison parce que de toute façon ce sont des taules et on n’a pas envie que le directeur vous dise « Oh ! Revenez quand vous voulez ! »

Donc un peu après, ils ont recommencé à me transférer partout dans le pays. J’ai été transféré dans une prison très loin de chez moi, dans le sud-ouest de l’Angleterre. Les gens qui me soutenaient ont alors écrit massivement au ministre chargé des prisons. Il a répondu « Il restera dans cette prison jusqu’à ce qu’il change de comportement. » Je lui ai répondu qu’il risquait d’attendre longtemps avant que je devienne calme. Je suis resté seulement deux mois dans cette prison et une partie a été détruite. Je recevais énormément de lettres de la part d’autres prisonniers, même de personnes que je ne connaissais pas personnellement. Par exemple, quand j’ai été envoyé à la prison de Parkhust, sur l’île de Wight, je me suis retrouvé dans une unité d’isolement dans laquelle je ne connaissais personne. Mais les autres prisonnières avaient entendu parler de moi, ont commencé à m’appeler. En Angleterre, et j’en suis certain partout ailleurs, les prisonniers s’envoient des trucs d’une cellule à l’autre avec des ficelles. Il y en a une qui m’a crié « Est-ce que tu veux le journal aujourd’hui, je l’ai ! » Un autre m’a crié « Tu veux du tabac, j’en ai ici ! » ; une autre « Est-ce que tu veux un bouquin, j’en ai un bon dans ma cellule ! » ; une autre « Tu veux un sandwich, j’en ai un de plus ! » ; un autre mec m’a demandé « Tu veux une tasse de thé ? » Je lui ai demandé « Comment tu peux m’envoyer du thé ? » Il m’a dit « J’ai de l’eau chaude, je peux t’envoyer des sachets de thé. » Et donc dix minutes après que je sois arrivé, je lisais le journal en mangeant un sandwich et en buvant une tasse de thé ! Franchement, ce n’était pas si mal ! Mais évidemment pendant la période que j’ai vécue en isolement, il y a eu plein de moments très difficiles. J’ai pourtant toujours continué à résister. Il faut se rappeler que si c’était facile, on n’appellerait pas ça une lutte.

Je crois que c’est très important quand vous êtes en prison en tant qu’anarchiste de conserver votre intégrité. Dans ce système basé sur la déshumanisation, il importe de garder quelque chose de soi-même dans la mesure du possible. Et l’intégrité se concrétise souvent par une série de choix. Dans certains de ces choix, on peut perdre très facilement quand on fait des compromis. Par exemple la toute première fois que je me suis retrouvé en prison, à ce moment-là, la première chose qu’on nous disait à notre arrivée était « Vous devez appeler tous les surveillants sir. » C’est quelque chose de très simple en anglais : il n’y a que trois lettres, c’est un tout petit mot. Mais je suis anarchiste et je n’appelle personne sir. J’en ai payé les conséquences. Une autre fois, dans une unité d’isolement je me suis retrouvé dans une blanket protest Pour s’opposer à l’obligation de porter l’uniforme, les prisonnières ne portent qu’une couverture en guise de vêtement. parce qu’ils ont voulu m’obliger à endosser l’uniforme des prisonniers et que j’ai toujours refusé de le porter. J’étais donc nu et tout ce que j’avais pour me couvrir était une couverture. Je ressemblais à Ponce Pilate. Au début les surveillants ont essayé de m’intimider « Met cet uniforme ou on te casse la gueule », mais ça n’a pas marché. Alors ils ont essayé une autre tactique : ils sont venus vers moi plutôt sympas. Ils m’ont dit « Pourquoi tu mets pas l’uniforme ? De toute façon, c’est une unité d’isolement, il n’y a personne qui le saura si tu le mets ! » Et je crevais de froid dans cette unité. La chose importante n’était bien évidemment pas que quelqu’un le sache. Si j’avais fait ce compromis, les matons l’auraient de toute façon su. Et moi j’aurais aussi su que j’avais accepté ce compromis, et c’est ça le plus important.

J’ai survécu à la prison, mais bien entendu ce n’est pas possible de passer au travers de cette épreuve sans en garder des séquelles. Personne ne peut survivre à l’épreuve des longues peines dans en garder des cicatrices physiques et psychologiques. L’âge moyen de mort naturelle dans les prisons britanniques est seulement de 47 ans. La brutalité, la nourriture carencée, l’isolement vous emportent. Moi, j’ai beaucoup de séquelles physiques. C’est une situation de stress permanent. Beaucoup de gens n’y survivent pas, sont conduits à la folie ou au désespoir. Elles se pendent à des tuyaux qui ne sont qu’à dix centimètres du sol ou elles se coupent les veines. Beaucoup de gens n’y survivent pas. Même pour ceux qui y survivent, ils n’ont pas une vie bien longue.

Au Royaume-Uni, des ex-détenues ont eu des examens cérébraux et il est possible de voir les séquelles physiques sur le cerveau. Les séquelles sont assez similaires à celles des boxeurs. Littéralement, elles ont des trous dans le cerveau. Mais les psychologues savent que la séquelle la plus grave qui résulte d’une longue peine de prison c’est ce qu’on appelle disenpowerment. C’est le fait de perdre le contrôle de sa propre vie, on n’a plus du tout de contrôle sur quoi que ce soit. J’ai parlé plus haut de l’intégrité. Ceci est une autre raison pour laquelle il importe de garder son intégrité en prison. En continuant sans cesse de résister, on ne se rend jamais. Et même en isolement total on ne se rend jamais. Et peut-être que, de cette manière, on peut éviter les pires séquelles qu’engendre la prison. Il est donc vraiment important de s’accrocher à son intégrité, parce qu’une fois que l’État en a fini de sa vengeance et qu’il te jette dans la rue, ton intégrité est vraiment tout ce qu’il te reste.

J’ai parlé des tactiques de répression. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis se sont comportés comme un véritable cancer en Europe bien qu’ils n’aient pas conquis l’Europe par les armes, mais pas l’impérialisme culturel. Dans chaque rue, dans chaque ville d’Europe, dans chaque centre-ville il y a un McDonald’s ou un Burger King. La propagation des méthodes de travail américaines est endémique, leurs méthodes pénales se répandent. Les États-Unis ont la plus importante population carcérale au monde. 5 % des hommes de plus de 18 ans et un homme noir sur cinq sont en prison, en liberté surveillée ou en conditionnelle. Un tiers des hommes adultes a un casier judiciaire. Et non seulement ils ont la plus grosse population carcérale au monde, mais ils ont aussi le plus fort taux de criminalité. Et les deux vont de pair. C’est vraiment un drôle d’endroit sur lequel prendre exemple en matière de politique pénale, mais pour introduire leurs idées et leurs méthodes sur le continent européen, les États-Unis ont pu faire confiance à leur 51e État : le pays auquel George Orwell faisait référence, Air Strip 1, autrement dit la Grande-Bretagne.

La Grande-Bretagne a, depuis la Seconde Guerre mondiale, joué le rôle de cheval de Troie pour introduire la politique américaine en Europe. Ce n’est pas un hasard si actuellement la Grande-Bretagne a le plus fort taux de détention d’Europe : les méthodes pénales américaines y ont été introduites. Lors que les États-Unis ont le système des trois coups Adaptation pénale d’une règle de base-ball (3 strikes and you’re out), qui consiste à condamner à une peine maximale, souvent perpétuité, une personne après son 3ème délit, quelle que soit la gravité. , la Grande-Bretagne a, elle, le système des deux coups. Une des raisons pour lesquelles la population carcérale britannique s’est accrue si vite et continue d’augmenter de façon dramatique est la privatisation des prisons, une autre idée qui a été importée directement des États-Unis, et souvent pour les mêmes entreprises américaines. La première prison privée de Grande-Bretagne a été construite en 1991. À cette époque, Tony Blair était dans l’opposition qui était alors très impliquée contre ce processus de privatisation. Mais en fait sous le gouvernement des néo-travailleurs, le processus de privatisation s’est terriblement accéléré et a directement amené à un accroissement de la population carcérale. Aux États-Unis, on a pu observer que ceux qui sont derrière les entreprises privées gestionnaires de prison peuvent également influer sur la législation.

À priori, ça ne se passe pas encore comme ça au Royaume-Uni. Mais ce n’est pas forcément nécessaire pour que la population carcérale augmente : l’existence même de ces prisons privées y mènera inévitablement. Dans les années 80, les prisons anglaises étaient vraiment surpeuplées, pleines à craquer. Il y avait même des prisonniers détenus dans des commissariats ou dans des camps montés vite fait autour des prisons, parce qu’elles étaient toutes pleines. Le Premier ministre conservateur de l’époque était dans une situation désespérée : il a dû faire un compromis par rapport à ses principes fascinants. Il a dû demander aux juges de ne considérer la prison que comme un dernier recours. Et il a aussi introduit le système de la réduction de peine de moitié pour bonne conduite pour ceux dont la peine était inférieure à quatre ans. Et c’est uniquement à cause de cela que la population pénale a pu réduire. Aujourd’hui, à nouveau, au 21e siècle, les prisons britanniques sont surpeuplées. Mais David Bunkett, le ministre de l’intérieur néo-travailliste, lui, ne fera pas le même choix : il continuera à criminaliser de plus en plus de gens et à demander des peines de plus en plus longues parce que chaque fois qu’il a besoin d’une nouvelle prison, les entreprises sont heureuses de pouvoir lui construire. C’est une véritable symbiose entre ces entreprises privées et l’État, une union qui permet d’énormes profits grâce à l’enfermement des classes pauvres. Ils sont en fait en train de trahir les principes du parti travailliste.

Tous les pays européens vont finir par subir des pressions énormes pour la construction de prisons privées. Nous en avons déjà vu des signes avant-coureurs et quand ce système de prisons privatisées apparaîtra dans les pays européens, la population pénale augmentera comme jamais auparavant, surtout dans des périodes de recrudescence de la répression. Les États-Unis n’ont pas seulement la plus forte population carcérale au monde, ils étendent aussi le concept de la prison à l’intérieur même de la société. C’est quelque chose qui s’est déroulé en Grande-Bretagne et qui est en train de se dérouler dans le reste de l’Europe. Nos gouvernements veulent nous mettre réellement à genoux. Ils se souviennent bien de la leçon des années 60 et ils sont bien décidés à ce que ce genre de situation ne se renouvelle plus. Dans les premières prisons de ce concept moderne d’État-Prison, le panoptique a été créé. C’est le système adopté dans la majorité des architectures des prisons, système qui nécessite un minimum de personnel pour observer un maximum de personnes. Il a été démontré que, quand des personnes pensent qu’il est possible qu’elles soient surveillées, elles se comportent comme si elles étaient observées. Elles deviennent ainsi leur propre flic.

Le concept du panoptique s’est également répandu dans toute la société. En Grande-Bretagne, de plus en plus de gens se retrouvent en conditionnelle après leur libération. Le bracelet électronique est maintenant utilisé même pour des gens qui n’ont jamais été condamnés ; les tests d’urine obligatoires sont utilisés aussi par les chefs d’entreprises, utilisés contre les enfants dans les écoles ; la Grande-Bretagne a plus de caméras de vidéosurveillance que les États-Unis ; il y a des hélicoptères partout dans le ciel ; récemment la police a commencé à effectuer des contrôles aux rayons X dans la rue sous prétexte de recherche de drogue ou d’armes ; la police utilise ses chiens dans les écoles, dans la rue ; le système de reconnaissance faciale se banalise ; tous les criminels potentiels peuvent être reconnus à une certaine distance ; des bases de données ADN sont disponibles ; et pour la première fois, le gouvernement pense introduire des cartes d’identité comportant des informations génétiques.

J’ai parlé du stress et de ces conséquences sur la santé des prisonnières. Les effets psychologiques d’une vie sous surveillance constante sont déjà bien connus. Il y a quelques années, le parlement européen avait fait faire un rapport sur ce sujet précis : l’introduction des méthodes américaines en Europe et particulièrement l’utilisation de la technologie comme arme. Ils ont reconnu les dommages que cela pourrait causer. Comme dans les prisons, la nécessité de la résistance ne peut pas être sous-estimée. Depuis le 11 septembre 2001, nous avons vu l’État-Répression se répandre. Ce qui s’est passé aux États-Unis a été utilisé comme un prétexte pour introduire toute sorte de méthodes répressives. Les libertés qui avaient été conquises par les générations précédentes ont été balayées. Et souvent, les gens ne sont pas réfractaires à ce genre de politique, sont même assez ouverts à la propagande de l’État sur l’insécurité. Ça fait vivre les gens dans un état de peur permanente et ça les pousse à renoncer à leurs libertés.

Le travail en prison est-il obligatoire en Angleterre ?

Autrefois, c’était surtout une punition supplémentaire. Les prisonnières devaient casser des cailloux ou pédaler toute la journée pour faire tourner une roue, ou une manivelle. En Grande-Bretagne, on appelle les matons screws, ce qui veut dire « vis », parce qu’autrefois les surveillants pouvaient resserrer les vis pour qu’elles soient plus dures à tourner. C’est donc une expression vieille de plus de cent ans. Mais même quand j’étais moi-même en prison, le travail n’était pas productif. Par exemple, les prisonniers font des sacs dans lesquels on met les lettres, mais des sacs que la poste n’utilise de toute façon plus. Dans une prison dans laquelle j’étais, il y avait un atelier qui s’appelait « l’atelier de confection des sacs postaux ». Et de là, on amenait les sacs dans un autre atelier appelé « atelier de réparation des sacs postaux » où les prisonniers les décousaient. Ils retournaient donc dans le même atelier. J’ai refusé d’y travailler et à cause des troubles que je provoquais, ils ont fini par me payer au salaire maximum sans que je travaille — le salaire maximum étant de 3 € par semaine ! Cela montre la possibilité de résistance à disposition, et même durant cette période pendant laquelle les conditions de détention étaient draconiennes. Par exemple dans les ateliers il est obligatoire d’avoir des sanitaires. Donc j’allais dans les toilettes, je détruisais tout et j’allais voir un type de l’entreprise employeuse en lui disant « On ne peut pas travailler, les toilettes ne sont pas en état. » Il me disait « Qu’est-ce que tu racontes ? Il y a des toilettes juste là ! », et je lui répondais « Non, il n’y en a plus… » Donc ils m’ont finalement foutu la paix. Et le même genre de choses s’est reproduit après cette première incarcération.

Historiquement, alors que les prisonnières étaient obligées de travailler, l’État n’était pas suffisamment audacieux pour penser qu’il pourrait tirer un profit financier du travail en prison parce qu’il voyait les prisonnières comme des gens qui ne valaient rien au travail. Avec la vague de répression qui s’est déchaînée pendant la dernière décennie en Grande-Bretagne, les entreprises se sont aperçues qu’il y avait là une véritable force de travail à leur disposition. Exactement comme une colonie à conquérir dans leur propre jardin, sans liberté syndicale, sous-payée, toujours prête à travailler. Ces prisonniers se retrouvent dans la position que le capitalisme voudrait imposer à toutes les travailleuses : pas de retraite, pas de vacances, et en général il y en a toujours assez qui sont prêtes à travailler pour ces entreprises. Et bien sûr, le peu d’euros qu’elles gagnent retourne à ces entreprises : elles ne peuvent les dépenser que dans des magasins qu’elles tiennent au sein de la prison.

Il y a deux ans, j’ai commencé à m’impliquer dans une campagne contre l’esclavage en prison. Et c’est aujourd’hui une campagne assez large en Grande-Bretagne. Nous ciblons les entreprises qui exploitent les prisonniers et nous exposons leurs activités au public parce que ce n’est pas juste une question morale, c’est une question liée au travail : l’utilisation de la main-d’œuvre carcérale sape les salaires et les conditions de travail en général. On a pu voir certaines entreprises virer tout leur personnel pour recourir au travail en prison. Et c’est très probablement quelque chose qui se reproduira de plus en plus. La principale entreprise visée par cette campagne est Wilkinson. C’est une grosse entreprise qui a un magasin dans n’importe quelle ville, donc nous faisons des piquets devant leurs magasins, nous distribuons des tracts. Wilkinson dit aider à la réinsertion des prisonnières. C’est faux : ils n’emploieront jamais d’ex-prisonnières.

J’ai donc décidé d’explorer un peu cette piste en même temps qu’une autre : David Blunkett, le ministre britannique de l’Intérieur, a dit qu’il voulait instituer quelque chose qui n’existe pas encore en Grande-Bretagne, la prison à temps partiel, quelque chose qui va réduire encore les dépenses de l’État : les gens travaillent dans la journée, sont chez eux le soir pendant la semaine et passent le week-end en prison…

Après ma libération, j’ai continué à subir le harcèlement policier. La première année, je ne pouvais pas quitter le pays, mais j’étais autant impliqué dans des activités politiques que d’habitude, même si une affaire bénigne aurait pu suffire à me renvoyer en prison à perpétuité. Je n’ai pas envie de me laisser intimider par ce genre de menaces parce que les activités politiques dans lesquelles je suis impliqué ne sont pas juste quelque chose que j’ai fait et que j’ai toujours fait. Pour moi maintenant, cela va au-delà de tout ça : c’est un acte de revanche, de vengeance contre l’État qui a volé dix ans de ma vie. Ce que j’oublie toujours de dire, c’est qu’en me laissant tant de temps en prison, l’État m’a donné une arme : je connais très bien le fonctionnement du système du travail carcéral et certains aspects de ces connaissances sont très importants pour le reste des luttes anticarcérales d’Europe. En Grande-Bretagne, si on veut savoir ce qui va se passer dans le futur, on regarde vers les États-Unis. En France et au travers du reste de l’Europe, si on veut voir le futur, il faut regarder vers la Grande-Bretagne : l’augmentation nette de la privatisation des prisons, de plus en plus de gens des classes laborieuses enfermés, et l’exploitation de cette main-d’œuvre bon marché disponible.

Qu’est-ce que tu faisais tous les jours pour les faire chier autant ?

Tout ! Tous les jours je me réveillais en me disant « Qu’est-ce que je vais faire pour les emmerder ? » Quand je suis en prison, je suis séparé de mes enfants. Je ne veux pas entendre les matins venir en sifflotant, les voir le sourire aux lèvres. Je préfère qu’ils se disent « Merde, encore ce putain d’endroit ! » Si j’avais été dans la population générale, j’aurais organisé des grèves de travail, des grèves de promenade, des refus de fermeture des cellules, pourquoi pas des émeutes si cela avait été possible, j’aurais bloqué les serrures des portes pour qu’ils ne puissent plus les ouvrir, j’aurais mis le feu à leurs bureaux, j’aurais essayé de blesser physiquement les matons, tout ce à quoi j’aurais pu penser. Je n’arrêterais pas de faire des recours devant les tribunaux administratifs, j’écrirais sans arrêt pour dénoncer le système carcéral, je manifesterais ma solidarité envers les autres prisonniers, les informerais de leurs droits. Sans arrêt, défier le système !

Je n’avais pas le choix. C’est les emmerder ou rester allongé sur un lit. Pour moi, ça n’a jamais été un choix. Certains prisonniers sont contents de juste regarder la télé, mais moi je ne veux pas rendre mon incarcération facile. Je serais devenu un mort-vivant. Je veux la rendre dure, même si cela me coûte d’être brutalisé, même en prison je veux décider de ce que sera chaque jour de ma vie, je veux lutter du mieux que je peux.

Je ne suis pas seul, j’ai beaucoup de camarades qui résistent de la même manière et ce que j’ai vu avec les prisonnières longues peines, c’est qu’après dix ans certains d’entre eux sont comme morts. Mais ceux qui continuent à résister malgré la brutalité et l’isolement restent en vie.

Il n’y a plus aujourd’hui autant de solidarité entre les prisonnières qu’autrefois. Lors de ma première incarcération, c’était très facile d’organiser des grandes grèves du travail ou des promenades. À la fin de mon emprisonnement, il fallait quasiment user de tactiques de guérilla pour organiser des actions. Nous étions juste quelques-uns. Si on jette un regard sur les années 80, on voit que les prisonnières étaient très militantes. Mais c’est facile d’être rebelle lorsque tout le monde l’est ! Parce que beaucoup de gens n’avaient pas vraiment une grande conscience politique, cela a été facile de mettre à bas la rébellion. En tant que révolutionnaires nous devons être plus que rebelles. C’est facile de dire non quand tout le monde le fait. Il faut aussi en avoir le courage et l’intégrité quand c’est nécessaire, même seul.

Est-ce que tu as été jugé pour toutes les destructions dans lesquelles tu as été impliqué ? Est-ce que ta peine en a été rallongée ?

Depuis que j’ai été relâché un système autrefois légal en Grande-Bretagne a été supprimé : il y avait un prétoire dans chaque prison. N’y avaient pas lieu de véritables procès, puisqu’on ne pouvait pas s’y défendre, et c’est pourquoi ils ont été déclarés illégaux.

Ma peine a été rallongée dans ces prétoires. Mais chaque fois qu’elle l’était, j’engageais des recours légaux. Et à chaque fois, parce que l’Administration pénitentiaire est stupide, elle perdait ces procès. Et j’ai gagné toutes les affaires dans lesquelles j’ai été impliqué en prison. Finalement, ma peine n’a été rallongée que de trois semaines sur les huit ans que j’ai faits. Mais c’est déjà arrivé qu’ils jugent des prisonniers devant des juridictions ordinaires hors de la prison et beaucoup exécutent de longues peines à cause de cela. C’est comme dehors : il faut être malin, il faut anticiper. Il faut porter des masques de ski…

(Traduction et retranscription d’une intervention au squat Le Brankard à Lille, en mai 2004
markbarnsley@mail.com)

Répression dans les prisons britanniques.

En 1994, un certain nombre de gardiens du Quartier de Haute Sécurité (Special Security Unit) de la prison de Whitemoor à Cambridgeshire, en Angleterre, étaient tranquillement en train de jouer au Scrabble. Pendant ce temps, principalement des prisonniers de guerre irlandais, classés parmi les prisonniers les plus surveillés du système carcéral britannique, étaient en train de s’évader. Six mois plus tard, 3 prisonniers sont littéralement sortis de la prison de sécurité maximale de Parkhurst sur l’île de Wight, l’Alcatraz d’Angleterre.

Ces deux événements ont été les détonateurs d’une vague de répression jamais vue auparavant dans le système carcéral britannique, dont le but est de détruire la résistance des prisonnières une bonne fois pour toutes.

Les graines de la répression avaient été plantées suite à la mutinerie de Strangeways en 1990, la plus grosse révolte de prisonnières de l’histoire d’Angleterre. Alors que quelques concessions d’ordre humanitaire avaient été accordées en tant que mesure stratégique apaisante en plein cœur de la révolte, l’État anglais a commencé à développer une série de stratégies et à faire des plans destinés à s’assurer qu’il n’y aurait jamais d’autre Strangeways.

Après la rébellion initiale, Strangeways est vite devenue une mutinerie avec les prisonniers sur les toits qui, au plus grand embarras de l’État, a traîné en longueur pendant des semaines aux grands yeux du public et de la presse. De telles révoltes sur les toits s’étaient en fait déroulées dans les prisons anglaises depuis des années, et étaient toujours l’un des actes de résistance des prisonnières les plus spectaculaires. Les changements dans l’architecture des prisons suite à Strangeways en ont fait une chose révolue.

Parallèlement aux changements accompagnant le nouveau profil du toit, et avec l’assurance qu’aucune porte des prisons modernes ne pourrait être observée depuis l’extérieur, les modifications architecturales furent le reflet des leçons retenues des soulèvements passés. Les “ailes” des prisons (les divisions où se trouvent les cellules) ont été confectionnées avec le souci particulier de l’observation, de la sécurité et du contrôle. L’utilisation massive des caméras de vidéosurveillance qui en découle a naturellement accompagné ces modifications.

De nouvelles méthodes de communication avec les médias ont également été développées. Désormais, la version habituelle de l’Administration pénitentiaire consiste alors à dire que les mutineries sont le fait de détenues qui craignent qu’on ne les empêche de se droguer.

Suite aux évasions de Parkhurst et de Whitemoor, deux rapports ont été commandés, portant les noms de leurs deux auteurs respectifs Woodcock et Learmont. Woodcock avait préalablement été le flic le plus haut gradé d’Angleterre, donc son antipathie envers les prisonniers allait de soi. Learmont était un vieux du genre « Colonel Blimp », qui a lui-même déclaré n’avoir jamais pensé à la prison ou aux prisonniers avant d’être nommé par le ministère de l’Intérieur.

De façon prévisible, ces rapports recommandaient l’introduction d’un grand nombre de mesures répressives liées à la “sécurité”. Néanmoins, Woodcock et Learmont n’étaient dans une large mesure que les larbins d’un programme déjà prévu. Selon Woodcock, ses conseils n’étaient censés être appliqués qu’au Quartier de Haute Sécurité de la prison de Whitemoor, pourtant, le ministère de l’Intérieur a déclaré qu’ils seraient introduits dans l’ensemble du système pénitentiaire. Beaucoup de ces mesures, comme une plus grande restriction de la propriété de prisonnières (appelé « contrôle volumique »), reflètent celles introduites dans les prisons américaines ces dernières années.

En fait, les prisons de sécurité maximale ont été parmi les dernières prisons où ces règles répressives ont été appliquées, tout simplement du fait qu’il avait été anticipé que c’était là que la résistance serait la plus importante.

Une des premières prisons où les recommandations de Woodcock (dans ce cas surtout en ce qui concerne les visites) ont été introduites au début de l’année 1995 a été la prison privée de Doncaster. Woodcock et Learmont ont en fait visité la prison le jour même où les mesures sont devenues réalité, mais n’ont été accueillis que pas une solide grève du travail des détenus, l’incendie d’une des ailes et une série d’autres actes de résistance.

L’introduction finale et totale des recommandations répressives de Woodcock, et celles par la suite appliquées au nom de Learmont ont rencontré une résistance importante, notamment avec la mutinerie radicale de 200 prisonniers incarcérés à la prison de sécurité maximale de Full Sutton en janvier 1997. Il y avait déjà eu des révoltes de moindre importance et des grèves à Full Sutton en réponse à la répression dès 1995, mais celle de 1997 a causé deux millions de livres de dommages et a réduit de moitié la capacité de fonctionnement de la prison pendant une année entière.

Parallèlement aux restrictions physiques d’ordre sécuritaires, un certain nombre de mesures savamment calculées d’ordre psychologiques sont apparues, la plus connue et absurde étant la dénommée  « Incentives and Earned Privileges Scheme » Que l’on pourrait approximativement traduire par « Plan d’incitation au gain de privilèges  », qui a donné un nouvel élan au vieux concept de « diviser pour mieux régner » en introduisant un système de classe à l’intérieur des prisons. Ce plan divise les prisonnières entre les « élémentaires », les « standards » et les « réhaussés » (ces derniers connus comme les « enchantés ») en fonction de leur comportement et de leur degré de soumission au système ? Au début, il n’y avait que de petites différences entre les catégories, mais elles se sont agrandies avec le temps, tout comme le niveau de soumission requis.

Les prisonnières « basiques » sont enfermées dans des conditions dignes des quartiers d’isolement, même si elles n’ont pas commis d’infraction disciplinaire. Elles ne reçoivent aucun « privilège », elles ont droit à une ou deux visites d’une demi-heure par mois (peut-être derrière une vitre), et à une dépense hebdomadaire de 2,50 £ seulement (un paquet de 12 grammes de tabac coûte plus de 2 £). D’un autre côté, un prisonnier qui se fraie un chemin jusqu’au statut « d’enchantés » disposera d’une télé, peut-être de matériel de cuisine, d’au moins quatre visites mensuelles d’une durée pouvant aller jusqu’à 2 h 30, de 15 £ par semaine d’argent à dépenser ainsi que d’un rehaussement de salaire et d’une série d’autres « privilèges ». Dans certaines prisons, le plan a tellement bien marché qu’il y a même des niveaux différents « d’enchantés ». En termes de résistance des prisonnières, le « Incentives and Earned Privileges Scheme » a été catastrophique. L’autre arme destructrice de l’État a été l’introduction progressive de télé en cellule (au même moment que le plan mentionné).

Six ans après l’évasion de Whitemoor, et seulement dix ans après le renouveau de la libéralisation des prisons que Strangeways a inauguré, le cycle de la répression carcérale a encore une fois battu son plein, et la « phase 1 » est presque achevée.

Ce plan finement mené dans le but de détruire la résistance des prisonniers ne devait pas être gâché par le déclenchement de grandes mutineries à travers le pays. La répression a été introduite doucement, et elle s’est empirée après le rapatriement des prisonniers combatifs du système carcéral. La tactique employée le plus couramment a été la provocation contrôlée, à cela on ajoute la répression, et ceux qui résistent sont ciblés et transférés vers des quartiers spéciaux. Par ces méthodes, l’État a finalement réussi à reconfisquer toutes les concessions pour lesquelles les prisonnières longues peines s’étaient durement battus à l’époque, et il a réussi à rendre la population générale très coopérative et prête pour la « phase 2 » de l’édification du Complexe Industriel des Prisons Britanniques.

Au niveau du rapport avec les prisonniers politiques, l’État a évidemment cherché à les isoler et à les punir, en maintenant leur traitement d’exception en tant qu’exemple pour tous ceux qui s’écarteraient du chemin de la soumission totale. Le « gros bâton » final était (et d’une certaine façon est toujours) le Quartier de Contrôle de Woodhill, où un petit nombre de prisonniers constamment gênants sont retenus dans des conditions choquantes, inhumaines et brutales. De toute façon, Woodhill n’est pas exempt de problèmes du point de vue de l’État. Il y a eu une résistance continue de la part de ceux qui y ont été placés sans compter la solidarité de la part des autres prisonnières (par exemple une grève du travail à Full Sutton en 1999) et des groupes de soutien à l’extérieur. Woodhill représente une cible symbolique pour les luttes de détenues, et a attiré l’attention des organisations de défense des droits de l’Homme comme Amnesty International. À cause de cela, l’Administration pénitentiaire tend à revenir à sa politique précédente de dispersion des prisonnières rebelles vers des quartiers d’isolement éparpillés dans le district de la prison et à les transférer à intervalles réguliers Cette pratique est appelée « rond-point » ou « train fantôme » transférer à intervalles réguliers.

Un nombre relativement faible de « fauteurs de trouble » peuvent être traités de manière très simple, et aussi brutalement et cruellement que nécessaire, du moment qu’il y a soumission générale de la population carcérale. Malheureusement, cette pratique s’est actuellement exacerbée jusqu’à un degré jamais atteint auparavant.

Bénéficiant du maintien d’une population carcérale incroyablement « enfermée », intimidée, aliénée, abrutie par les postes de télévision, le système carcéral est maintenant en mesure de s’occuper du grand nombre de personnes à l’extérieur que la législation répressive va incarcérer. La « phase 2 » de la stratégie carcérale, qui est déjà en cours, va engendrer une plus grande exploitation de cette force de travail détenue comme des esclaves. Les prisonniers seront soit au travail en train de « produire » ou ils seront enfermés derrière leur porte. Travaille, Regarde la télé, Dort.

Voilà l’avenir que prévoit l’État pour nous. Tout comme en Amérique, l’avenir est privé. Les mêmes entreprises qui enferment les prisonniers aux États-Unis sont actuellement en train de financer le programme du gouvernement britannique de construction massive des prisons. Bien que nous soyons à un niveau bas en ce qui concerne la lutte en prison en Angleterre, la résistance existera toujours et perdurera. L’Histoire nous montre que les révolutions ont l’habitude d’éclater quand le pouvoir les attend le moins. Même les esclaves se révoltent.

Mark Barnsley
(Texte paru dans le numéro 19 de l’ABC en 2001)

Campagne Contre l’Esclavage en Prison — Campaign Against Prison Slavery —
Se battre pour mettre fin au travail forcé dans les prisons

L’esclavage n’a pas été aboli en Grande-Bretagne, derrière les hauts murs et les portes fermées, il reste florissant. Les travailleuses sont obligées de trimer dans des conditions pénibles, au mépris des inspections de santé et de sécurité, du respect des droits du travail et des accords syndicaux même les plus basiques, et sont sévèrement punies si elles refusent de se soumettre. Dans les prisons britanniques, il y a eu des coupes sauvages dans les budgets de l’éducation depuis plus de cinq ans et toute prétention de réhabilitation des prisonnières et d’apprentissage de compétences valorisées a été abandonnée. Elles sont maintenant perçus comme une force de travail exploitable à merci, une colonie du tiers-monde dans la propre arrière-cour de la Grande-Bretagne, bon marché, non syndiquée, disponible et littéralement acculée au travail.

Si les prisonniers refusent de travailler, ou ne sont pas considérés comme assez productifs, ils sont placés en isolement, brutalisés, n’ont plus droit aux visites et voient leur peine rallongée de jours supplémentaires. Les sociétés privées font d’énormes profits grâce au travail pénitentiaire : 52,9 millions de livres en 1999, et les chiffres progressent rapidement. Ils l’utilisent parce qu’il est bon marché – les prisonnières ne bénéficient pas de congés maladie ni de vacances, qu’il leur est interdit de tenir des réunions, qu’elles ne posent pas de problèmes de transport, et que, s’il n’y a pas de travail, elles peuvent être simplement bouclées dans leurs cellules. Elles sont traitées comme les patrons aimeraient tous pouvoir nous traiter.

La question du travail en prison concerne tous les travailleurs, et pas uniquement parce qu’elle sape les salaires et les conditions générales du travail. Pas parce que les prisonniers voleraient en quelque sorte les emplois, ils n’ont absolument aucun choix sur ce point, mais parce que les entreprises peuvent réduire les salaires de leurs propres employés en utilisant le travail pénitentiaire et que celui-ci entraîne l’augmentation du travail intérimaire et des licenciements. Les employés de Dysons par exemple, le fabricant d’aspirateurs, ont été viré quand Dysons a décidé d’utiliser la main-d’œuvre bon marché et non syndiquée de Malaisie. Mais combien d’employés de Dysons savaient que depuis quelque temps l’entreprise employait la main-d’œuvre bon marché et non syndiquée de la prison de Full Sutton ? Sans surprise, les esclavagistes modernes cherchent désespérément à cacher leur responsabilité à leurs propres employés et au grand public.

Pour mieux vendre le travail pénitentiaire aux entreprises avides de profit, le ministère de l’Intérieur assure non seulement le faible coût et la fiabilité, mais aussi l’anonymat. Peu d’entreprises qui ont recours au travail forcé en prison l’assumeraient face à leurs employées et à leurs clientes. Un des premiers objectifs de la Campagne Contre l’Esclavage en Prison est de faire circuler des informations fiables et mises à jour sur ces entreprises esclavagistes, puis de les pointer du doigt et d’en faire des cibles. Dans le but d’obtenir de telles informations, nous sommes en contact avec les prisonniers, leurs amies et familles, pour que l’on sache ce qui se passe dans les ateliers esclavagistes des prisons de Grande-Bretagne, quelles sont les entreprises contractantes, quelle est la nature du travail, et combien sont payés les prisonniers. Le simple fait que le silence qui entoure l’exploitation des prisonnières puisse être rompu, et que l’esclavage carcéral puisse être mis à l’ordre du jour, aura à lui seul un effet sur la capacité du ministère de l’Intérieur à vendre le travail des détenus.

Nous nous sommes déjà aperçus qu’il s’agit là d’un sujet controversé pour l’opinion publique, et nous avons reçu énormément de soutien. Il s’agit d’entreprises capitalistes soucieuses de leur image de marque, elles ne veulent pas être liées à l’esclavage, ne veulent pas que leurs clients les boycottent, et ne veulent certainement pas que des gens protestent devant leurs magasins.

Un développement relativement récent du marché de l’esclavage carcéral est l’exploitation de prisonnières pour le travail informatique. À Rye Hill par exemple, une entreprise internet appelée Summit Media paie les prisonniers 9 £ par semaine, mais facture aux clientes plus de 50 000 £ pour 2-3 semaines de travail. Sur son site internet Summit Media souligne sa fiabilité, pourtant cela est complètement contradictoire avec son recours à l’esclavage. Les lectrices peuvent se rappeler de toute l’anxiété des médias il y a une paire d’années, quand les données du recensement de 1901 avaient été mises sur le net. Les gens étaient alors contents de trouver qui étaient leurs ancêtres et le site devint très populaire. De toute façon, ce site a vite été fermé après qu’on ait découvert que les données qu’il contenait ne valaient pas un clou, ce qui est très peu surprenant quand on sait que les prisonnières ont été forcés de les enregistrer.

Il y a une leçon à tirer de l’histoire du recensement de 1901 : le travail carcéral est exploitable seulement parce qu’il est jugé fiable pas les entreprises voraces. Avec la panne d’un ordinateur clé ou la lacération d’une longueur de coton, il devient considérablement moins fiable. Les grèves, la lenteur au travail, les sabotages, avec ces actes de résistance et d’autres, les esclavagistes des prisons pourraient voir les choses différemment. Actuellement, les prisonnières sont prises dans un cauchemar où elles sont simplement entreposées et exploitées comme main-d’œuvre bon marché, où l’éducation est une farce, et où les choses empirent. En se joignant à la Campagne Contre l’Esclavage en Prison, les activistes des deux côtés des barreaux peuvent changer les choses, rejeter l’esclavage et le Complexe Industriel des Prisons.

Pour plus d’informations sur la Campagne Contre l’Esclavage en Prison, sur les thèmes qu’elle aborde, pour vous engager dans cette campagne, ou pour les soutenir financièrement, contactez Caps :

Campaign Against Prison Slavery
Brighton ABC
PO Box 74, Brighton BN1 4ZQ
ANGLETERRE

againstprisonslavery@mail.com
www.enrager.net

Note : ces informations, présentes dans la brochure originale, semblent aujourd’hui éronnées. Nous avons toutefois pensé utile de ne pas les retirer.